1990-2005 : réforme ou méforme de l'école ?

Collège unique, lycée, université : depuis des années, grandes réformes ou petites mesurettes s'accumulent pour améliorer ce qui est devenu l'école de masse... Si leur objectif reste la démocratisation du système, pourquoi les politiques scolaires, de gauche comme de droite, s'avèrent-elles aussi peu lisibles et peu efficaces ?

Dans la sphère éducative, le terme de « réforme » recouvre deux modes d'intervention politique très différents : d'une part, des réformes institutionnelles importantes (lois ou décisions à large portée), d'autre part, un flux continu de modifications pédagogiques et administratives plus modestes (arrêtés, circulaires et notes de service) qui sont rendues quasi obligatoires par la gestion d'une organisation affectant 15 millions d'élèves et plus d'un million de personnels. Ces deux modes de transformations ne s'inscrivent pas dans la même temporalité : tandis que la relative rareté des grandes lois de réforme et les lenteurs d'exécution peuvent créer un sentiment d'immobilité, la réalité du court terme est faite d'une suite permanente d'ajustements et de petites transformations. C'est ce que l'opinion (publique et enseignante) traduit par le double discours apparemment paradoxal de « l'impossible réforme » et de « la lassitude des réformes incessantes ».

Mais d'autres contraintes contribuent aussi à opacifier la notion de réforme. Ainsi, dans le contexte de la démocratie, les alternances droite/gauche révèlent des proximités parfois surprenantes parce que la continuité de l'Etat n'autorise pas des bouleversements de fond en comble. On constate la force de tendances héritées d'un passé lointain, ce que pour leur part les économistes appellent la « dépendance du sentier » (path dependence), indiquant par là que tout vrai changement d'orientation relève d'un choix finalement contraint, dépendant d'un sentier antérieurement balisé. Cette dépendance n'est en outre pas uniquement celle du passé : des recherches internationales ont montré que, dans des pays à caractéristiques proches de celles de la France, les décisions prises ont souvent procédé d'influences ou de circulation d'idées internationales 1.

Temporalités décalées des différents types de réformes, dépendance du sentier et influences internationales expliquent ainsi en grande partie le manque de lisibilité et parfois la confusion des réformes appliquées à l'Education nationale.

Gérer ou démocratiser la massification ?

Depuis la création du collège unique en 1975, c'est surtout au niveau du second degré que se circonscrivent les enjeux principaux du système éducatif. A la massification du premier cycle entérinée par le collège unique est en effet venue s'ajouter une seconde décision qui a achevé de transformer en profondeur le sens des institutions scolaires du second degré : l'ouverture du second cycle secondaire, dont la fréquentation a été rendue accessible à un plus grand nombre d'élèves en référence à un objectif, énoncé en 1984, de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. A l'orée des années 1990, c'est près de 25 % d'élèves en plus qui se retrouvent dans les lycées généraux et technologiques par rapport à l'année scolaire 1985-1986, ce qu'on peut appeler la « seconde explosion scolaire 2 ».