Pierre Le Coz : « Le coaching répond aux aspirations d'un capitalisme à visage humain »

Dans des sociétés privées de repères traditionnels, comme la religion ou la famille, le coaching prospère sur une recherche de sens. Un désir d’épanouissement s’est substitué à l’impératif du devoir.

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Le coaching fait irruption dans le monde du sport à partir des années 1950. Quelle vision nouvelle de l’individu porte cette pratique ?

Le développement du sport moderne, à la fin du 19e siècle, est contemporain de l’essor du capitalisme et de la quête d’efficacité. Bien qu’on fasse remonter l’origine des Jeux olympiques à la Grèce antique, l’enregistrement des performances qui intervient à cette époque traduit un changement majeur par rapport aux pratiques « sportives » des Anciens. À partir des années 1950, l’apparition du « coach » – terme qui s’impose alors dans le football américain notamment – marque une rupture dans la vision qu’on a des athlètes.

Jusqu’au milieu du 20e siècle, l’« entraîneur » s’intéresse peu au vécu psychologique des sportifs. Il se borne à leur demander d’entretenir leur masse athlétique et d’augmenter leurs prouesses techniques. Il les astreint à des exercices essentiellement corporels. Avec le coaching, il prend conscience – grâce au courant de psychologie humaniste notamment – qu’à performance physique équivalente, un compétiteur peut se démarquer de son adversaire au moyen de sa seule force mentale. La fabrique des champions élargit le champ d’action du coaching à l’esprit. Les compétiteurs doivent muscler leur mental tout autant que le corps. Les états d’âme vont dorénavant faire l’objet d’une gestion comparable à celle qui s’exerce sur le plan physique.

L’exportation de cette pratique en Europe, à partir des années 1980, s’explique-t-elle par une fascination pour l’Amérique et ses valeurs ?

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L’idée d’un individu épanoui, passionné fait rêver, de même que le self-made man demeure un modèle aux États-Unis. En France, nous n’avons pas inscrit le droit au bonheur dans notre Déclaration des droits humains. Mais notre ethos individualiste s’oriente dans une direction hédoniste depuis les années 1960-1970. Le coaching accompagne cette évolution des mentalités, en transférant les notions de bien-être psychique et de force mentale du monde du sport à celui de l’entreprise. Cette pratique arrive avec une bonne nouvelle dans ses bagages : il peut y avoir du plaisir sur le lieu du travail. C’est un changement de paradigme, qui tranche avec une conception qui reposait jusqu’ici sur l’idée que le bien-être n’avait pas sa place pendant le travail qui répondait au devoir de subvenir aux besoins de sa famille, mais après le travail. Cela peut avoir des effets vertueux. Certaines entreprises, surtout les plus grandes, font plus attention au bien-être de leurs salariés. Mais cela crée aussi des frustrations insidieuses, quand on se rend compte de l’écart qui sépare l’idéal affiché de la dure réalité. Travailler exige toujours de se lever tôt le matin, de se montrer aimable avec des clients pas toujours sympathiques, etc.