Pour les amateurs de parallélisme historique, l’année 406 de notre ère constitue un singulier exemple de synchronisme dans l’histoire des religions en Eurasie. À quelques mois près, les deux cultures majeures qui encadrent cet immense continent, le monde latin et le monde chinois, virent s’achever deux œuvres qui devaient profondément façonner la suite de leur évolution. À l’ouest, dans les déserts de Palestine, Jérôme le Dalmate mettait un terme à onze ans d’efforts pour retraduire en latin la Bible hébraïque, établissant le texte plus tard appelé la Vulgate de saint Jérôme, qui deviendra le pilier de la culture latine médiévale.
Une vie d’aventures
À l’est, dans la prestigieuse cité chinoise de Chang’an, un moine extraordinaire, arrivé des lointaines oasis d’Asie centrale et secondé d’une pléiade de lettrés chinois, réalisait en quelques semaines le tour de force de traduire du sanskrit au chinois classique l’un des textes bouddhiques (sûtra) fondamentaux du Grand Véhicule (Mahâyâna), nouveau courant bouddhique né en Inde aux environs des débuts de l’ère chrétienne : le Sûtra de la fleur de lotus de la Loi sublime (en sanskrit Saddharmapundarîka-sûtra, en chinois Miaofa lianhua-jing).
Ce moine avait nom Kumârajîva et cette traduction venait couronner une vie riche en aventures. Né vers 350 dans la cité-oasis de Kucha, située sur le pourtour nord de l’implacable désert du Taklamakan et arrosée par la fonte des neiges de la chaîne des Tianshan, Kumârajîva était fils d’une princesse de l’endroit, appartenant donc à cette population dite tokharienne dont la langue constitue une branche isolée et fort ancienne du groupe indo-européen.