La destruction du Temple de Jérusalem le 30 août 70 de notre ère marqua durablement les esprits. Même si l’incendie fut accidentel et ne résulta pas d’une intention délibérée du pouvoir romain après un long siège et quatre ans de guerre acharnée contre la rébellion zélote (encadré ci-dessous), l’événement fut amplifié par la propagande impériale. Lors de son triomphe à Rome, le vainqueur, Titus, fit défiler le produit du pillage du Temple et des milliers de captifs, ce qui incita Juifs et chrétiens de la capitale à réfléchir sur la précarité de leur situation et sur la question de l’esclavage. Des monnaies commémoratives démontraient l’inanité d’une résistance religieuse à la puissance politique romaine.
La fin des sacrifices
Le christianisme naissant subit lui aussi l’impact de l’événement : il marque la rédaction des Évangiles et des Actes des apôtres, c’est-à-dire la plus ancienne théologie chrétienne ; du point de vue des Romains, il projette sur le mouvement fondé par Jésus l’image d’une secte palestinienne séditieuse. Les conséquences de cet incendie ne se limitent donc pas à l’histoire du judaïsme.
La destruction du Temple et de l’autel des holocaustes transforma définitivement le judaïsme, de religion sacrificielle en religion du texte. La catastrophe de 70 contribua à accélérer la fin des sacrifices sanglants, alors que ce mode de relation entre les hommes et le divin était commun à toutes les religions et cultures de l’Antiquité : en l’absence du Temple, les Juifs étaient contraints d’abandonner ce rituel d’alliance et d’expiation ; les chrétiens refusèrent tout sacrifice, dans la conviction que celui du Christ était unique et définitif. De leur côté, les intellectuels païens commencèrent à s’en détacher pour des raisons humanistes de respect de la vie.
Privé de temple, le judaïsme se recentra sur le réseau des synagogues, lieux d’un autre rituel, où l’on se réunissait pour lire et commenter la Bible, ainsi que sur les académies pharisiennes. Assez vite, dès les années 80, un nouveau centre religieux apparut à Yabnè, ville de la côte, sous la forme d’une école dirigée par un pharisien rallié à Rome, Yohanan ben Zacchai. À partir de ce moment et dans les siècles qui suivirent, on procéda à la canonisation des livres de la Bible hébraïque. La codification de la tradition orale, travail qui avait été entrepris par les pharisiens dès avant 70, se prolongea ; la Mishna fut la base commune des deux Talmud.
Avec la disparition du Temple, les Juifs furent privés d’un pôle de référence identitaire, érigé progressivement en lieu de pèlerinage. Cela généra un contexte favorable à l’éclosion de mouvements messianiques locaux entre 116 et 135. On discute cependant de la visée messianique de la guerre de Simon Bar Kochba « le Fils de l’Étoile », car les rabbins ne paraissent pas impliqués dans le mouvement. L’unité du judaïsme se refondait sur le plan doctrinal et que son fractionnement, qui avait caractérisé l’époque antérieure à 70, faisait place à une orthodoxie dictée par les canons des écoles rabbiniques. La fonction d’enseignement et d’autorité fut réinvestie par des rabbins, les « maîtres », organisés autour d’un patriarche en Galilée, dont les émissaires et envoyés parcouraient la diaspora.