Amphithéâtre Tocqueville, université de Caen. A 18 heures, la salle est déjà presque pleine. Beaucoup de têtes grises ou blanches mais aussi des jeunes gens. Tous attendent Michel Onfray. Certains ont soigneusement préparé la séance : ils ont imprimé le synopsis du cours et potassent sagement. Ils sont parfois venus de loin, telle cette retraitée qui, ayant entendu quelques cours sur France Culture et voulant voir « en vrai », a fait le voyage depuis la région parisienne. C'est la deuxième fois qu'elle se déplace et se dit enchantée. Elle n'a aucune base en philosophie ni fait d'études supérieures mais trouve le cours accessible. A 18 heures 30, la salle est archicomble : près de six cents personnes sont venues. Des jeunes sont assis sur les marches de l'escalier, d'autres debout au fond de l'amphi. Le cours commence. La séance est consacrée à Claude Helvétius. Dès les premières minutes fusent des concepts difficiles ? « nominalisme », « utilitarisme », « empirisme »... Les gens semblent s'accrocher. Quelques anecdotes et plaisanteries émailleront le cours somme toute austère même si M. Onfray affirme avec force ses préférences philosophiques et ne manque pas une occasion de taper sur Emmanuel Kant. Après l'heure de cours, l'heure de discussion. Les questions ont plus ou moins de rapport avec l'enseignement : une dame d'un certain âge s'enquiert de Mme Helvétius. Un autre intervient sur les francs-maçons. Toutes les questions ne sont pas pertinentes. Mais M. Onfray répond à chaque fois longuement, sans sourciller, faisant valoir ses positions. La salle n'a guère désempli.
L'université populaire (UP) de Caen est assurément un succès. Créée en 2002 par M. Onfray, elle vise à offrir gratuitement à tous, sans conditions d'âge ou de diplômes, des cours accessibles. La personnalité de son fondateur, particulièrement médiatique, explique sans doute l'audience. Certains viennent assurément pour voir en chair et en os celui qu'ils ont vu à la télévision. Mais force est de reconnaître que cette initiative semble être dans l'air du temps : le succès des conférences de l'Université de tous les savoirs, les cafés philo, géo, psycho, le collège de la Cité des sciences, etc. attestent d'une véritable demande. L'UP de Caen a du reste fait des petits : Lyon, Arras, Narbonne, Avignon, la Picardie, ou Mons en Belgique. Mais de nombreuses autres universités populaires existent par ailleurs, depuis souvent plusieurs décennies, moins médiatisées et donc moins connues du grand public. Elles profitent cependant du succès de Caen et sont, elles aussi, en plein essor. L'idée des universités populaires n'est du reste guère nouvelle (voir l'encadré p. 20) : elles apparaissent à la fin du XIXe siècle dans un contexte politique et social très différent. Après bien des vicissitudes, elles semblent aujourd'hui faire leur grand retour.
Mais quelle unité y a-t-il derrière toutes les initiatives qui se revendiquent « université populaire » ? La question mérite d'être posée. Des UP d'ATD quart-monde à celle de M. Onfray à Caen en passant par celle du Rhin, les UP du mouvement Attac ou celle que le musée du Quai Branly prévoit de mettre en place, bien des projets très différents se cachent derrière cette expression. Pour Françoise Laot, maître de conférences en sciences de l'éducation à l'université Paris-V, « l'appellation "université populaire" n'est pas un label. C'est un titre générique pour indiquer que des gens vont discuter d'un savoir ». Reste que la tentation est grande de dégager une essence de l'UP en général pour justifier sa démarche et discréditer celle d'UP concurrentes. Deux réseaux notamment se distinguent : celui de l'Association des universités populaires de France (AUPF), présidée par Denis Rambaud (voir l'entretien p. 24), moins universitaire et plus « grand public », et celui, plus récent, plus médiatique, plus académique, du réseau de Caen. Du côté de ce dernier, on insiste sur le sérieux de l'enseignement proposé et sur sa gratuité. Le réseau de l'AUPF met davantage en avant une offre très large, moins élitiste et donc plus accessible : on y trouve des cours de philosophie, de langues, d'informatique mais aussi d'art floral, de danse, de sophrologie... Les cours sont alors souvent payants (même si le prix reste en général abordable) et nécessitent une adhésion. Le catalogue des formations, riche et hétéroclite, rapproche certaines de ces UP de structures d'animation comme les maisons des Jeunes et de la Culture.