Formation : l'heure du grand soir numérique ?

Connecté, participatif, personnalisé, évolutif, l’e-learning risque de nous emmener bien loin des pratiques traditionnelles de la formation continue. Au-delà de l’effet de mode, annonce-t-il de nouvelles manières de se former ?

1635339673_facebook-shared-image.jpeg

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la criminologie, le droit du travail, la mécanique des fluides, la vulcanologie, la maladie d’Alzheimer ou, pourquoi pas, l’art des troubadours, vous pouvez désormais l’apprendre grâce aux moocs, des cours proposés gratuitement sur le Web par les meilleures universités et écoles de la planète. Berkeley a même imaginé un mooc sur « la science du bonheur » ! Fin 2014, pendant dix semaines, près de 5 000 personnes ont suivi ce cursus qui fait le point sur les connaissances les plus récentes en psychologie, neurosciences et biologie.

Le succès est indéniable. Les moocs se multiplient comme des petits pains : les internautes ont aujourd’hui le choix entre 3 000 et 4 000 cours, souvent en anglais. La plateforme France université numérique (ouverte fin 2013 par le ministère de l’Enseignement supérieur) en propose une centaine en français. Et compte déjà 420 000 inscrits – majoritairement des salariés avides de connaissances. Signe des temps, Le Petit Robert 2015 accueille le mot mooc dans ses pages, en même temps que les selfies, les mégavirus et les Femen.

Se former partout, tout le temps

« Même s’ils restent souvent très classiques dans leur format, les moocs marquent un jalon dans l’histoire de la formation : ils ont prouvé en quelques mois que le numérique pouvait être un outil efficace pour se former, décrypte Sylvain Vacaresse, maître de conférences à RennesI et consultant en e-learning. Ils ont aussi montré que le marché de l’éducation était devenu mondial puisque des grandes institutions comme Harvard ou le MIT se sont lancées. » Hypermédiatisés, les moocs ont donné un visage à une révolution souterraine, engagée depuis les années 1990 : la transformation de la formation sous l’influence de la technologie.

Les outils numériques déterminent de nouveaux usages dans tous les domaines de notre vie quotidienne. Légers et maniables, les smartphones et les tablettes tactiles nous permettent d’apprendre partout, tout le temps – à la maison, dans le métro, dans le train ou en avion. Et nous ne nous en privons pas : comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, nous sommes nombreux à pratiquer chaque jour le « mobile learning », en nous connectant sur notre téléphone portable pour visionner des conseils de bricolage, ouvrir un traducteur en ligne ou retrouver la référence d’un livre.

publicité

Les organismes de formation veulent tirer profit de cette habitude, tournée vers l’acquisition de savoirs informels, pour construire des parcours de formation ambitieux. La société CrossKnowledge a, par exemple, développé une application baptisée Learn qui permet d’« apprendre toute la journée », même « pendant les moments creux ». « C’est une façon de rendre la formation plus engageante : nous réfléchissons d’ailleurs à une formation 100 % sur mobile », explique Steve Fiehl, responsable de l’innovation chez CrossKnowledge. Learn propose à ses utilisateurs de commenter ou de recommander des contenus. « Aujourd’hui, les cours en solitaire derrière un écran, c’est fini : la formation devient collective et collaborative », affirme S. Fiehl.

La force de la communauté

Les spécialistes de la formation à distance ont compris qu’ils devaient créer des liens avec les apprenants, mais aussi entre les apprenants eux-mêmes. Car il est très difficile d’apprendre seul face à une machine. Des chercheurs de RennesII et de la faculté de pédagogie de Munich l’ont affirmé dès 2009 : séduisante sur le papier, la formation 100 % à distance induit un risque « de désorientation et de démotivation », lié notamment à « l’absence d’une confrontation bienveillante aux performances des pairs  1 ». Philippe Carré, professeur en sciences de l’éducation à l’université ParisX, a résumé cette idée dans un aphorisme souvent repris : « On apprend toujours seul mais jamais sans les autres. »