◊ Empire, Antonio Negri et Michael Hardt, 2000.
◊ L’Être et l’Événement, Alain Badiou , 1988.
Antonio Negri
Toni Negri est né en 1933 à Padoue (Italie). Jeune professeur à l’Institut de science politique de l’université de Padoue, dans les années 1960, il contribue à fonder une mouvance marxiste hétérodoxe, appelée l’« opéraïsme (1 1)», qui met l’accent sur le concept d’« ouvrier social ». Il est arrêté en 1979, lors d’une enquête sur le terrorisme. Alors qu’il est en prison, en juin 1983, il est élu député du Parti radical italien. Souvent critiqué en Italie, Negri jouit d’un certain prestige en France et dans les pays anglo-saxons.
Alain Badiou
Né en 1937 à Rabat. Ancien élève de l’ENS, il enseigne d’abord en lycée, puis à la faculté de lettres de Reims. Militant au Parti socialiste unifié (PSU), dirigé alors par Michel Rocard, il participe à un groupe de réflexion se réclamant du marxisme-léninisme. Sa formation conjugue l’influence de ses maîtres (Louis Althusser, Jean Hyppolite, Georges Canguilhem), la psychanalyse avec Jacques Lacan, et les mathématiques. Il devient professeur à l’ENS de la rue d’Ulm en 1999, puis professeur émérite dans cette institution.
Empire, 2000. Antonio Negri et Michael Hardt
Si vous pensez que « la prochaine grève sera la grève sur Internet » et que seule la multitude peut s’opposer à l’empire du capitalisme, c’est que vous êtes un négriste qui s’ignore. Figure de la pensée altermondialiste, le philosophe italien Toni Negri est célèbre pour son ouvrage Empire, coécrit avec l’universitaire américain Michael Hardt. Best-seller international de la contestation, Empire décrit l’extension du capitalisme à l’échelle de la planète comme l’instauration d’un système de domination totale, à la fois juridique, politique, militaire et culturelle. Forme suprême de domination internationalisée, l’empire aurait pris l’ascendant sur les États-nations les plus puissants et se déploierait en un vaste réseau mondial très mobile. S’enracinant dans toutes les régions du monde, toutes les activités sociales, l’empire contrôle aussi, via la biopolitique, tous les aspects de la vie. Omnivore, il ne permettrait plus l’existence d’un « extérieur » à lui-même. Sa principale caractéristique est le travail immatériel, c’est-à-dire « une forme de travail qui crée des produits immatériels, tels que du savoir, de l’information, de la communication, des relations ». Mais si aucune alternative n’est possible en dehors de l’empire, de nouvelles formes peuvent, en revanche, émerger en son sein. Cette alternative est la multitude. Considérée comme un ensemble d’individualités, la multitude exprime les désirs, les luttes et les résistances des hommes à l’intérieur de l’empire. Elle est un pouvoir émancipateur, se confrontant aux pouvoirs institués sous la forme d’une effervescence subjective et créatrice. Pour Negri et Hardt, seules la multitude et ses formes variées de résistances pourront s’opposer à la logique de l’empire. Mais la question de la diversité humaine se pose alors. Les forces de résistances étant éclatées, la stratégie de la multitude ne risque-t-elle pas de sombrer dans le piège d’une dispersion de la contestation ? Pour les deux auteurs, la multitude échappe à cet écueil car elle est faite « de singularités agissant en commun ». En effet, s’ils mettent en avant la diversité, ils gardent une vision très unifiée de la société existante parce que soumise à un ordre capitaliste homogène. Prétendant poser les bases d’un postmarxisme proche de Gilles Deleuze et Michel Foucault, les thèses de Negri sont aujourd’hui particulièrement discutées en France et notamment dans la revue inspirée de ses travaux : Multitudes.
L'Être et l'Événement, 1988. Alain Badiou
“Le dépit philosophique provient uniquement de ce que, s’il est exact que ce sont les philosophes qui ont formulé la question de l’être, ce ne sont pas eux mais les mathématiciens qui ont effectué la réponse à cette question.”
Si Alain Badiou est en vogue dans les médias, c’est moins pour ses théories philosophiques que pour ses prises de positions politiques. C’est pourtant au sein de ses ouvrages les moins engagés qu’il marque véritablement le paysage philosophique contemporain. Aussi la théorie exposée dans son ouvrage principal, L’Être et l’Événement, rompt-elle avec la volonté que Badiou avait d’ordonner sa réflexion dans l’unique sens de l’action politique. Il y développe une réflexion « métaontologique » sur le rapport entre le savoir mathématique et l’être-en-tant-qu’être. À partir de la théorie des ensembles du mathématicien Georg Cantor, Badiou propose d’appréhender les mathématiques comme fondement de l’ontologie. Mais cette idée est vouée selon lui à ne convenir ni aux philosophes, qui se trouvent dépossédés de la question ontologique, ni aux mathématiciens, qui préfèrent se cantonner à la recherche mathématique pure. En fondant la connaissance du réel comme un savoir, les mathématiques deviennent le discours de ce savoir impliquant que le réel est en lui-même fondamentalement mathématique. En vérité, l’objectif de Badiou est de poser un savoir transhistorique qui articulerait le savoir, l’ontologie et les vérités produites historiquement par l’homme. Savoir par excellence, les mathématiques n’ont, en effet, pas accès à ce qui n’entre pas dans la catégorie de l’être-en-tant-qu’être, c’est-à-dire à l’événement. L’événement selon Badiou ne correspond pas à un savoir mais à des vérités esthétiques, politiques, ou amoureuses… Contingent par nature, l’événement ne peut pas être prédit. Tenant en échec la logique du calcul mathématique, il est de l’ordre du coup de foudre amoureux ou de l’ordre politique avec la révolution. Reprenant l’injonction pascalienne « il faut parier », Badiou propose de parier sur la politique communiste contre le savoir dogmatique, l’ordre mathématique du capital. Figure philosophique de l’engagement, le pari prend acte de l’imprévisibilité de l’événement, là où la vérité « subjectivisée » s’incarne. En tant que métaontologie, la philosophie de Badiou prétend, dès lors, combiner le savoir intemporel incarné par les mathématiques et les vérités historiques afin de dépasser le dualisme stérile entre le savoir et la vérité 2, entre l’être et l’événement.