« Défendre l’animal et le manger sont deux attitudes habituellement perçues comme antinomiques. » Eh bien, selon Dominique Lestel, penseur des communautés hybrides (homme-animal), il n’en est rien. Plutôt qu’un éloge du carnivore, ce pamphlet philosophique est une attaque en règle contre le végétarisme « éthique » qui non seulement s’abstient de consommer de la viande, mais proclame qu’il est immoral de le faire. Cette posture, en effet, voudrait remettre en cause le droit que s’arroge traditionnellement l’espèce humaine de tuer sans remords les autres animaux. Or, selon D. Lestel, les végétariens qui se réclament de cette forme d’« antispécisme » ont tout faux car, en se positionnant de la sorte, ils font au contraire de l’homme un être exceptionnel : le seul qui s’interdise de tuer les autres espèces pour les manger. Contre toute attente, le végétarien « éthique » serait donc animé par le désir de supprimer l’animalité qui est en lui et, par la même occasion, celle qui est dans l’œil de son voisin. Paradoxalement, il y aurait chez le végétarien une sorte d’orgueil moral, proche finalement d’un humanisme classique auquel, pourtant, les antispécistes entendent faire la peau. On appréciera, sans doute, l’ingéniosité de l’argument. On se méfiera, éventuellement, de l’évocation que fait D. Lestel (sans doute porté par son élan) de la cruauté comme loi du vivant. Car au fond, les carnivores ne pensent guère être cruels lorsqu’ils tranchent un saucisson. Il existe bien des raisons de s’abstenir de manger de la viande animale : par hygiène, par dégoût, par empathie animalière (voir les excellentes Confessions d’une mangeuse de viande de Marcela Iacub), mais la question de savoir s’il s’agit d’une cause morale rationnellement défendable est sans doute plus difficile à établir. D. Lestel plaide contre, ce qui ne l’empêche pas de s’élever contre les traitements horribles qui sont infligés aux bêtes au nom d’une industrie d’élevage dépourvue, elle, de toute sensibilité.
Apologie du carnivore
Apologie du carnivore. Dominique Lestel, Fayard, 2011, 140 p., 12 €.