Entretien avec Antoine Garapon

Après Outreau

En 2004 s’ouvre à Saint-Omer le procès d’assises de ce qui apparaît alors comme une vaste affaire de pédophilie. Les audiences révèlent pourtant la méprise et, sur les 17 personnes accusées (dont certaines en détention provisoire depuis plusieurs années), 13 au final seront acquittées. Ceux qui subissaient jusqu’alors l’opprobre général sont désormais reconnus comme les victimes de l’institution judiciaire. Le scandale d’Outreau a conduit à un vaste débat sur la justice en France qu’éclaire pour nous Antoine Garapon, le coauteur en particulier des Nouvelles Sorcières de Salem.

Que reste-t-il d’Outreau aujourd’hui ?

De manière surprenante, Outreau n’a pas suscité de réforme de la procédure pénale de grande ampleur, alors qu’elle était le fruit d’un vice de système et pas seulement de fautes individuelles (le juge Burgaud n’avait pas commis de fautes à proprement parler). Cette inconséquence législative contraste avec les effets durables que cette affaire a entraînés sur le corps des magistrats. Les scandales sont toujours révélateurs d’une inquiétude de la société et parfois d’un changement d’époque : avec Outreau, on rabat le caquet des juges et on met fin à une décennie de « protagonisme judiciaire ».

 

Outreau marquerait donc un nouveau rapport de la société française à la justice ?

On a assisté dans les années 1980-1990 à une judiciarisation de la vie collective, commune à toutes les sociétés démocratiques, dont témoignaient entre autres les affaires de corruption et les grands procès tel celui sur le sang contaminé… Aujourd’hui, l’omniprésence du thème de la sécurité (notamment à cause du terrorisme) et le retour en force du politique qui a repris la main sur la justice marquent la fin de cette période. On retrouve la vieille culture française qui accorde la prééminence au politique et se défie de l’instance judiciaire. Cette affaire brouille le discours victimaire puisque les enfants qui ont été au centre de la première phase de médiatisation réclamant des têtes à la justice passent au second plan, voire disparaissent dans la seconde phase qui s’apitoie sur les ravages de la détention injustifiée (à juste titre mais on aurait aimé plus de cohérence de la part des médias). Dans Outreau, on découvre que la justice, qui s’y est disqualifiée, peut être source d’insécurité et mettre en danger les libertés de nos concitoyens. Nous entrons de plain-pied dans une idéologie néolibérale, à la fois sécuritaire et anti-institutionnelle, où l’on promeut les victimes et où l’on se défie de la justice.