Au seuil de la psychanalyse

Avant les débuts « officiels » de la psychanalyse, Freud avait élaboré 
une « théorie de la séduction », vite abandonnée. Pourtant, il en a conservé 
les pierres angulaires durant toute son œuvre.

Au commencement… Mais y en a-t-il eu un ? L’Interprétation du rêve (1900) de Sigmund Freud est souvent cité comme le point de départ de la psychanalyse mais, au moment où il a commencé à l’écrire dans la fin des années 1890, Freud avait déjà posé trois de ses pierres angulaires : la libre association, pour recueillir des données sur le patient ; une équation étiologique pour évaluer les causes des névroses ; une pulsion sexuelle instinctive, provoquant un comportement anormal quand l’esprit conscient la refoulait dans l’inconscient.

 

Associations, déterminisme, traumatisme

Une partie de la croyance de Freud que les associations libres (encadré ci-dessous) menaient aux causes des symptômes dérivait de la théorie physiologique de l’association formulée par Theodor Meynert, dans le laboratoire duquel il avait travaillé de 1883 à 1885. Selon Meynert, une association consistait en un lien entre les cellules du cortex dans lesquelles étaient stockées les représentations neuronales des éléments de l’association. L’expérience commune liait les représentations de façon telle que l’association constituait à la fois une relation logique (la présence d’un agneau induisait son bêlement) et un lien de causalité (l’agneau causait le bêlement).

Des trains entiers d’associations pouvaient être considérés de la même manière. Et c’est seulement grâce à cette expérience commune que l’on pouvait voyager d’une idée présente à son idée causale. Meynert avait décrit cette trajectoire comme tout aussi déterminée que celle d’une balle vers une cible. Freud a explicitement adopté le point de vue de Meynert, à ceci près que le refus de se rappeler pouvait détourner la balle. Cependant, insistait Freud, les croyances et attentes du patient ne pouvaient pas influer sur le chemin des associations ; ses déterminants étaient internes.

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La conviction de Freud s’enracinait sur deux enseignements délivrés par Jean Martin Charcot durant sa brève visite à la Salpêtrière, à Paris, en 1885-1886. Charcot paraissait avoir établi que les phénomènes de l’hystérie et de l’hypnose avaient des bases physiologiques. Freud rejetait l’accusation selon laquelle la suggestion pouvait les produire, celle-ci devant produire des phénomènes variant avec les croyances de l’enquêteur. Joseph Delbœuf, visiteur de la Salpêtrière en même temps que Freud, s’était montré immédiatement plus sceptique et devait prouver plus tard, expérimentalement, que Charcot (et Freud) avaient tort. Contrairement à Pierre Janet, l’un des plus proches collaborateurs de Charcot, Freud n’a ainsi jamais admis que ses croyances puissent influer par suggestion sur la mémoire de ses patients.