Aux sources du tantrisme bouddhique

Le bouddhisme vajrayâna, ou Véhicule de Diamant, prédomine au Tibet et en Mongolie. Son histoire mérite d’être mieux connue.

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On confond souvent le bouddhisme tantrique (ou Véhicule de Diamant, vajrayâna) avec le bouddhisme tibétain. Ou le tantrisme bouddhique avec celui qui a fleuri dans les diverses autres spiritualités indiennes. Les Tibétains y voient, eux, en quelque sorte l’ésotérisme du bouddhisme, qui serait aussi vieux que cette religion. Mais pour la critique historique (qui reconstitue l’évolution des religions, même quand celles-ci perçoivent leurs aspects tardifs comme ayant toujours déjà été là), l’apparition du vajrayâna est bien postérieure à la vie du Bouddha Shâkyamuni.

L’idée de « prototantrisme »

Le sinologue Michel Strickmann, dans son livre Mantras et mandarins (1996), exploite au maximum les sources chinoises, grâce auxquelles on peut dater les évolutions du bouddhisme en Inde dès le début du 1er millénaire de notre ère. L’Inde a toujours été indifférente à l’histoire ; les Chinois, eux, en sont férus : leurs traductions des textes sanskrits sont précisément datées. De plus, le canon bouddhique chinois conserve toutes les versions successives des mêmes textes.

M. Strickmann propose l’idée de « prototantrisme ». Il cherche dans les textes rituels des pratiques préfigurant le vajrayâna dans sa forme la plus ancienne : celle qui va se diffuser en Chine au 8e siècle, puis au Japon au siècle suivant. Au cœur de ce premier tantrisme bouddhique : « l’Union aux trois mystères », qui consiste, pour le méditant, à unir par l’imagination son corps, sa parole et son esprit à ceux du Bouddha qu’il aspire à devenir. Pour cela, il recourt à des visualisations et à des postures manuelles ou mudrâ, pour le corps ; à des formules répétées ou mantra, pour la parole – tandis qu’il se repose dans le samâdhi (recueillement), pour l’esprit.

M. Strickmann fait observer que l’on trouve des mantra (ou plus exactement des dhâranî) dès les écritures canoniques (ou sûtra) du Grand Véhicule, tel le Sûtra du Lotus. Or la première traduction chinoise de ce texte, celle de Dharmaraksha, date de 286 apr. J.C. Mais, dans tout le prototantrisme jusqu’au 6e siècle, il n’y a encore que des pratiques magiques pour protéger le détenteur des enseignements du Mahâyâna et lui permettre d’écarter diverses calamités. Ces moyens ne sont pas encore une voie spirituelle.

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La première forme connue de vajrayâna au sens plein est donc celle qu’apportèrent en Chine les moines Vajrabodhi (671-741) et Shubhakarasimha (637-735), préservée au Japon sous le nom de Shingon et qui s’est diffusée aussi dans d’autres écoles (Tendai, etc.). Cette forme du vajrayâna repose principalement sur un texte : le Mahâvairocana Sûtra. Les historiens tendent à situer sa composition au milieu du 7e siècle (première traduction chinoise : 724). Ce qui caractérise ce premier Vajrayâna, c’est aussi qu’il se présente comme une voie brève pour l’obtention de l’état de Bouddha « en cette vie, avec ce corps » – selon une formule attribuée à son introducteur au Japon, le moine Kûkai (774-835). En cela, le vajrayâna ressemble au chán (zen). Mais il s’y oppose par son ritualisme sophistiqué, et par sa pratique réservée à ceux qui ont reçu une initiation.