Bernard de Mandeville, prophète du capitalisme

Libérer le vice pour atteindre la vertu ! Telle est la solution que Bernard de Mandeville propose face aux pénuries du 17e siècle.

Bernard de Mandeville (1670-1733) est aujourd’hui peu connu. Né à Rotterdam, il suit des études de médecine et de philosophie à Leyde. Puis il part s’installer à Londres vers 1695, où il exerce comme « médecin de l’âme ». Vers 1710, Mandeville est à Londres ce que Sigmund Freud sera à Vienne deux siècles plus tard. Il reçoit des personnes souffrant de « maladies nerveuses ». Il a une méthode, qu’il expose longuement dans son Traité des passions hypocondriaques et hystériques (1711), dans lequel il recommande de parler avec le patient. Et ça fonctionne. Mandeville découvre donc vers 1700 que quand on laisse les patients parler ils vont mieux. Les carcans moraux qui pèsent sur eux s’allègent et leurs symptômes les font moins souffrir.

Mandeville se demande alors si ces résultats individuels seraient transposables au collectif. Pour répondre à cette question, il écrit en 1714 un texte, La Fable des abeilles, à la façon de La Fontaine et un autre traité de philosophie morale, Recherches sur les origines de la vertu morale.

Ces deux textes composent une très audacieuse utopie permettant de répondre à cette question cruciale : comment sortir le monde de l’état de pénurie ? Cette situation est connue depuis Thomas Hobbes, qui soutenait dans le Léviathan (1651) que le manque de biens pour répondre aux besoins de la population provoquait « la guerre de chacun contre chacun ».

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On dispose aujourd’hui de données pour chiffrer cette pénurie. Vers 1700, il y a 600 millions d’habitants dans le monde ; le revenu moyen par tête est environ de 80 euros par mois (en euros constants) ; l’espérance de vie de 25 ans ; à peine 10 % de la population mondiale âgée de plus de 15 ans est alphabétisée. Or les deux textes de Mandeville proposent un remède contre-intuitif et inédit.

Le premier texte, le plus connu, La Fable des abeilles, repose sur une maxime ainsi énoncée : « Les vices privés font la vertu publique. » Ce qui veut dire qu’il faut laisser les pulsions, notamment d’avidité, aller libres à leur finalité pour que de la richesse se crée chez quelques-uns avant qu’elle ruisselle ensuite sur les autres. Pour savoir ce que Mandeville entend au juste par « vices », lisons la seconde édition de La Fable des abeilles (1723) où il commente son texte, strophe par strophe. Il y écrit ainsi que « les plus grands scélérats contribuent au bien commun ». Pourquoi ? Parce que le vol, la prévarication, la luxure, la prostitution, les drogues, la pollution, le luxe extravagant de quelques-uns, le versement de pots-de-vin… contribuent au bien commun, puisque ces méfaits créent des poches d’argent qui permettront d’une façon ou d’une autre l’achat de biens et de services et feront marcher le commerce.