Entretien avec Yves Jeanneret

Ce que l'écran change à l'écrit

Le développement des réseaux électroniques et du multimédia va-t-il bouleverser les règles mêmes de la diffusion des savoirs, de la culture et des idées? L'histoire des médias montre, selon Yves Jeanneret, que les révolutions, dans ce domaine, n'accomplissent pas souvent ce qu'elles promettent.

Sciences Humaines : Jusqu'à présent, le domaine des idées était aussi celui de l'écrit. Les intellectuels sont des gens qui écrivent et publient, même s'ils ne font pas que cela. Or, on nous annonce une nouvelle ère : celle de la cyberculture, essentiellement basée sur l'existence de moyens télématiques. Sommes-nous à la veille d'une révolution dans la diffusion de la culture et des savoirs ?

Yves Jeanneret : Le passage à « l'écrit d'écran », selon la formule d'Emmanuel Souchier , la constitution des réseaux modifient de façon sensible le mode de circulation des objets culturels, des savoirs et donc des idées. Souvent, le réseau informatique est décrit comme l'instrument d'une mutation globale et rapide. Ce serait l'aube d'une nouvelle ère où l'imprimé et l'écriture alphabétique seraient balayés. En réalité, on observe plutôt une combinaison de moyens : de nouveaux circuits apparaissent concernant des groupes sociaux limités et non l'ensemble de la société. On ne peut pas penser en termes de remplacement, parce que tous ces changements sont très dépendants de l'écho qu'ils reçoivent dans les médias de masse et dans les livres. Internet fait beaucoup écrire et ne connaîtrait pas son développement actuel s'il n'était pas relayé par les journaux.

La deuxième raison est que les formes d'expression se reproduisent largement d'un média à l'autre, et si Internet permet la production de nouveaux types de documents, ils reprennent largement des formes développées antérieurement : le texte indexé, l'image, le son ne sont pas nés avec l'informatique. Ce n'est pas la première fois dans l'histoire de la culture que l'on théâtralise les ruptures. Dans Notre Dame de Paris, il y a un passage célèbre dans lequel Victor Hugo compare la cathédrale comme texte visible de la religion avec le livre imprimé. Et il fait dire à son personnage : « Ceci tuera cela. » Soit : le livre imprimé tuera l'édifice religieux. Ce texte développe exactement la thématique que l'on trouve aujourd'hui à propos de la mutation du livre au réseau...

SH : Il n'empêche que, quelle que soit l'ampleur de leur impact, les moyens télématiques modifient les règles de circulation du savoir. Comment peut-on décrire ces changements ?