Jeudi 11 décembre 2008 : Edgar Morin est à Auxerre pour donner une conférence sur le thème « L’abîme ou la métamorphose ». Ce n’est pas tout à fait un hasard : ce jour coïncide justement avec la petite fête organisée dans les locaux de Sciences Humaines, à l’occasion du numéro 200 de la revue.
Pour nous, Edgar Morin est un auteur fétiche. Le premier numéro de la revue, paru en novembre 1990, lui était consacré. Pour le fondateur de Sciences Humaines que je suis, « la pensée complexe » avait été une source d’inspiration majeure. Et la dette intellectuelle à l’égard de son auteur était notable. L’esprit de la pensée complexe représentait un message d’ouverture, de pluralisme, mais aussi une ambition de ne pas renoncer à penser l’homme dans sa globalité, à une époque marquée par la fin de l’âge d’or des sciences humaines.
À cela s’ajoutait un héritage intellectuel immense : Edgar Morin avait ouvert des champs entiers des sciences humaines, de la sociologie de la culture de masse au rôle créateur de l’imagination en passant par l’anthropologie fondamentale, jusqu’à son « écologie des idées ».
Divergences
Puis nos routes se sont séparées. Au milieu des années 1990, la pluridisciplinarité était devenue le credo officiel dans les institutions scientifiques. Elle n’apparaissait plus comme un projet révolutionnaire et se réduisait souvent à la superposition d’analyses spécialisées. La complexité ? Elle me semblait perdre de sa puissance au fil du temps ; la production fleuve d’Edgar Morin – livres, articles, conférences – me semblait cacher une insuffisance fondamentale. La complexité n’était-elle pas un passe-partout intellectuel qui voulait ouvrir toutes les portes, mais s’achoppait à en ouvrir aucune ? Le monde est complexe, certes. L’individu est complexe, le cerveau est complexe, la société est complexe, la réalité est complexe, etc. La complexité s’appliquait à tout, de l’univers à l’humain, mais n’expliquait rien de précis et ne débouchait sur aucune découverte d’importance.