Ce que peut la littérature Entretien avec Antoine Compagnon

La littérature ouvre l’horizon et nous rend « plus vaste », nous dit Antoine Compagnon. Autant de raisons de lire, relire aussi, à tous les âges de la vie.

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On s’est pressé au Collège de France pour écouter les cours d’Antoine Compagnon durant quinze ans, après son élection en 2006 à la chaire « Littérature française, moderne et contemporaine : histoire, critique et théorie » jusqu’à sa leçon de clôture le 12 janvier 2021. La salle était toujours comble. Au programme : Montaigne, Stendhal, Baudelaire, Proust… revisités sous l’angle de la morale, de la mémoire, de la guerre ou récemment des chiffonniers du 19e siècle. Des cours qui captivaient auditeurs et internautes podcastant ses cours par milliers. Enseignant à succès, également professeur à l’université Columbia de New York, conférencier aux quatre coins de la planète, A. Compagnon est encore l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont Un été avec Montaigne en 2013 vendu à 140 000 exemplaires. Il n’a pourtant rien d’une rock star. Sa voix est basse, le ton posé, le propos modéré, le costume impeccable. À l’image de son bureau clair, ordonné, où il nous reçoit. Une distance intrigue, chez lui, et semble lui venir d’un parcours hors norme qu’il n’hésite pas à évoquer dans ses récits autobiographiques. On le sent toujours de part et d’autre du miroir, et pour cause. Il est déjà, depuis l’enfance, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, après quelques années de jeunesse à Washington où il est confronté à la pédagogie libre, et aujourd’hui comme enseignant cosmopolite. Il est aussi d’un côté et de l’autre de l’autorité, de la discipline, en tant que fils de général et ancien élève du sévère Prytanée- La Flèche, au retour des États-Unis, mais électron libre, renonçant très vite à la carrière militaire. Il est encore d’un côté et de l’autre des grands pôles du savoir, en ayant un pied dans les lettres, comme on sait, et un autre dans les sciences, par sa formation initiale à Polytechnique et Ponts et Chaussées. De quoi lui permettre d’échapper au formatage des classes préparatoires littéraires, reconnaît-il volontiers, et de mieux saisir l’importance de l’interdisciplinarité trop longtemps boudée en France. L’esthétique mathématique le fascine toujours par sa virtuosité, son élégance, et pourrait bien avoir influencé le littéraire qu’il est devenu. Il est enfin d’un côté et de l’autre de l’écriture, d’abord tenté par le récit, avant de se consacrer à la critique, sans jamais abandonner le récit littéraire personnel. Roland Barthes, dont il a été l’un des derniers disciples, l’aura formé à cette double approche. Et c’est bien cette pluralité de points de vue que l’on sent toujours chez lui qui lui permet de dézoomer des lettres, de décoller du texte, pour mieux dire ce que peut la littérature en général et pour chacun de nous. C’était l’objet de sa leçon inaugurale au Collège de France : « La littérature, pourquoi faire ? ».

Parmi les nombreuses facettes de votre parcours, laquelle vous définirait le mieux, d’après vous ?