Choisir l'école de ses enfants

Malgré les contraintes liées au principe de la carte scolaire, les Français conservent comme les autres Européens une latitude d'action dans le choix de l'école de leurs enfants.

Comparer les systèmes éducatifs européens entre eux permet de faire ressortir les spécificités et les similitudes de chacun, de se décentrer de la situation française et de décrire de l'extérieur les modèles de régulation et de gouvernance qui structurent le système et l'énoncé des politiques françaises. Ce point de vue de l'approche comparée peut contribuer à la discussion des évolutions des systèmes éducatifs européens, comme nous le verrons ici à travers la question du choix et de la concurrence locale entre établissements. Comme le montrent les comparaisons entre pays, la France est à la fois traversée de tendances proches de celles observables chez d'autres et comporte de notables spécificités sur le plan institutionnel et au niveau de l'énoncé des politiques.

La France a longtemps pu être caractérisée par un modèle de régulation et de gouvernance qualifié de « bureaucratique et professionnel ». Ce modèle fait cohabiter une régulation « étatique, bureaucratique, administrative » et une régulation « professionnelle, corporative, pédagogique »1 qui peuvent entrer en tension. D'un côté, l'Etat éducateur met en oeuvre une offre éducative structurée, à partir de normes identiques pour toutes les composantes du système : même programme scolaire pour tous, corps d'inspection générale centralisé, examens nationaux comme le brevet ou le baccalauréat, etc. Cette standardisation est justifiée au nom de la raison et de la nécessaire universalité des règles à l'échelon de l'Etat-nation, fondant ainsi pour tous une égalité de traitement et une égalité d'accès à l'éducation. Mais, à côté de ces caractéristiques bureaucratiques, une large autonomie individuelle et collective des enseignants - fondée sur leur expertise et leurs savoirs professionnels et compte tenu de la complexité des tâches éducatives à accomplir - a toujours été maintenue. Par ailleurs, dans ce système, les parents et usagers n'ont pratiquement pas voix au chapitre. Ils peuvent néanmoins agir via des arrangements qui, dans les faits, permettent d'adapter le fonctionnement bureaucratique aux situations particulières. Ceci confère dès lors à divers agents un pouvoir officieux important. Une autre tension existe dans le système éducatif français, cette fois au plan des conceptions politiques de l'éducation : le « modèle républicain » se caractérise à la fois par l'insistance sur le rôle émancipateur des savoirs et de la raison, dérivée de la philosophie des Lumières, et par la place tenue par l'idéal « méritocratique » 2.

Les vertus de l'école unique mises en doute

Dans les années 1970-1980, une crise de légitimité de ce modèle voit le jour 3, doublée d'une crise de rationalité. Son efficacité et ses missions apparaissent de plus en plus problématiques. Les critiques de la bureaucratie et de la centralisation, souvent d'origine néolibérale, s'accentuent en raison des effets de la massification scolaire : l'école a du mal à s'ajuster aux demandes locales et à la diversité croissante des situations et besoins éducatifs. On lui reproche aussi de faillir à ses missions d'égalité des chances. Elle est encore accusée de ne pas suffisamment prendre en compte les préoccupations de « qualité » éducative, portées tant par les milieux économiques soucieux de « compétitivité » que par les classes moyennes. Celles-ci doutent de plus en plus des vertus de l'école « unique » au fur et à mesure que la reproduction de leur positionnement social devient plus incertaine. Ces critiques rejoignent d'ailleurs les critiques plus virulentes développées dans le monde anglo-saxon.

Pour répondre à ces crises, l'Etat français, comme d'autres gouvernements européens, va s'inspirer de modèles transnationaux véhiculés par divers vecteurs (agences internationales, entrepreneurs politiques ou académiques...). Ainsi, la décentralisation, le libre choix de l'école par les parents, le développement de l'évaluation, ou encore la promotion du management scolaire sont des références envahissantes qui se retrouvent, au moins sur le plan de la rhétorique, dans presque tous les contextes nationaux européens même si c'est à des degrés divers.