Comment l'Occident a fait la différence

Pourquoi la Chine, grande puissance du XVIIIe siècle, a-t-elle été devancée par l’Occident ?

Longtemps, les historiens ont fait de l’Europe occidentale le berceau naturel du capitalisme, et de l’Angleterre la terre d’élection de la première révolution industrielle, fondée sur la machine à vapeur et la mécanisation des manufactures textiles, c’est-à-dire sur le charbon et le coton. L’historiographie reprenait ainsi les thèses culturalistes dérivées de l’œuvre de Max Weber : le protestantisme en particulier aurait été le ferment de « l’esprit du capitalisme », et les valeurs occidentales en général auraient été les plus propices à l’invention scientifique et technique. Certains n’ont pas hésité à parler d’une supériorité de la culture européenne, qui aurait fondé la domination économique occidentale sur le reste du monde aux XVIIIe et XIXe siècles. En somme, la révolution industrielle ne pouvait avoir eu lieu qu’en Angleterre, et nulle part ailleurs.

Fortement critiquée, cette vision à la fois eurocentrique et téléologique a été réduite à néant par les travaux de Kenneth Pomeranz, que deux publications récentes ont rendus accessibles en français : Une grande divergence. La Chine, l’Europe, et la construction de l’économie mondiale (Albin Michel) constitue la traduction intégrale de son livre paru en 2000 aux États-Unis, tandis que La Force de l’empire. Révolution industrielle et écologie, ou pourquoi l’Angleterre a fait mieux que la Chine (éditions è®e) résume sa démonstration et présente succinctement les débats qu’elle a suscités.

 

Angleterre-Chine : deux destins divergents

Spécialiste de la Chine, figure de proue du courant de l’histoire globale, K. Pomeranz démontre que la « grande divergence » qui a eu lieu entre Orient et Occident au tournant des XVIIIe et XIXe siècles n’était nullement écrite d’avance. Sa méthode est celle de la « comparaison réciproque » : se demander pourquoi l’Angleterre n’a pas connu le même destin que la Chine – soit une stagnation sinon un déclin – est pour lui tout aussi légitime et pertinent que de poser la question en sens inverse – pourquoi la Chine n’a-t-elle pas connu le même développement que l’Angleterre ? –, comme on le fait habituellement, en faisant a priori de l’Angleterre l’unique étalon de mesure, le modèle de référence universel. Cela n’aurait toutefois guère de sens de rapprocher des entités de dimensions et de nature incomparables. L’analyse porte donc sur des régions que leur taille et leurs caractéristiques rendent commensurables, en l’occurrence les régions les plus avancées aux deux extrémités du continent eurasiatique : d’un côté, l’Angleterre (6 millions d’habitants vers 1750), de l’autre, la basse vallée du Yangzi (en amont de l’actuelle Shanghai), qui forme le Jiangnan (de 31 à 37 millions d’habitants).