Deuxième mercredi des vacances de la Toussaint. Le rayon « Ado » de la Fnac du Forum des Halles à Paris ne désemplit pas. Autour de la table des nouveautés où se côtoient fantasy, romances (1) 1 ou polars, Héléa, 15 ans, et Sacha, 16 ans, discutent avec passion du best-seller d’Adam Silvera Et ils meurent tous les deux à la fin (2017). Sacha, fan de « romance queer », ne comprend pas le buzz sur TikTok autour de ce récit dystopique qui raconte la dernière journée de deux ados qui viennent d’apprendre leur mort prématurée. Il avait pourtant été chamboulé par Plus heureux que jamais (2015), qui « abordait avec justesse la question de l’homosexualité dans un quartier chaud ». Héléa hoche la tête. Comme les autres jeunes rencontrés aujourd’hui, ils aiment les récits qui permettent de s’évader, tout en parlant des sujets qui les touchent : la quête d’identité, l’amitié, l’amour, la lutte contre les injustices…
Ces thématiques sont au cœur de la littérature ado depuis son invention, après-guerre aux États-Unis, puis en France dans les années 1960, en même temps que celle de l’adolescence. Les grandes maisons d’édition créent alors des collections dédiées. À côté des classiques, elles publient de la littérature de genre (SF, fantastique, polar, aventure…), puis dans les années 1970, des romans réalistes à vocation sociale et des récits documentaires. « L’objectif est de divertir les lecteurs, mais aussi de les ouvrir au monde et les inciter à prendre part à la vie collective », décrypte Matthieu Letourneux, professeur de littérature à l’université Paris-Nanterre. Cette production qui domine jusqu’à la fin des années 1990, va être « balayée par la vague Harry Potter », relate Cécile Boulaire, maîtresse de conférences à l’université de Tours.
En faisant grandir ses personnages au même rythme que ses lecteurs, J.K. Rowling repousse les limites du genre du côté des jeunes adultes, et fait entrer le fantastique dans la cour des grands. En 2005, Twilight (Stephenie Meyer) vient consacrer le succès de la romance et des littératures dites de l’imaginaire (fantasy, science-fiction, dystopie 2, 2…) de plus en plus influencées par l’univers des séries et des jeux vidéo, et inversement. Les éditeurs, davantage à l’écoute de leur lectorat, n’hésitent pas à écumer les plateformes d’écriture collaborative pour débusquer les tendances et les nouvelles plumes. Faut-il, comme certains parents, se désoler de voir les jeunes se réfugier dans une littérature exclusivement divertissante, déconnectée de la réalité ?