L’origine du langage : question taboue ? Non, depuis trois décennies au moins, la fameuse résolution prise en 1866 par la Société linguistique de Paris de faire silence sur ce problème insoluble n’a plus cours, et des centaines d’articles ont été publiées sur le sujet. À un détail près : on ne dit plus « origine » mais « évolution », et à juste titre. L’idée même que la faculté de langage soit apparue brusquement en même temps que le genre humain représentait jusqu’il y a peu d’années un obstacle à la pensée, en même temps qu’un mystère. D’aussi grands esprits que Ferdinand de Saussure et Noam Chomsky se débarrassèrent du problème : « les langues ne naissent pas », écrivait le premier, l’aptitude au langage est le fruit d’une « brusque mutation », affirmait le second, laissant donc le bébé aux biologistes.
Cet ouvrage, né du travail à quatre mains du linguiste Jean-Marie Hombert et de l’anthropologue Gérard Lenclud, a l’insigne mérite de consacrer une centaine de pages à exposer les raisons de cette impasse. Jusqu’en 1975, alors que les paléontologues, les préhistoriens et les biologistes avançaient à grand pas dans l’histoire de l’hominisation, les linguistes, eux, boudaient l’aventure, mais avec quelque motif : une langue n’est pas un outil comme un autre. Soit elle peut dire tout ce que l’homme pense, soit elle ne sert à rien. Les linguistes concevaient mal qu’elle puisse ne fonctionner qu’à moitié, ou autrement. Et pourtant, il n’y a pas de raison qu’à la différence d’autres propriétés humaines, le langage n’ait évolué graduellement vers la forme universelle qu’on lui connaît aujourd’hui.