Freeze, passe-passe, handspin, coupole, ces noms vous disent quelque chose ? Ce sont des figures de breakdance, cette danse dérivée du hip-hop apparue dans le Bronx au milieu des années 1970. Contrairement au tango ou au rock’n’roll, il n’y a pas d’école, de méthode ou de cours de breakdance. La transmission de ce « langage corporel » se fait essentiellement oralement, par le biais de démonstrations. Puisqu’aucune règle n’est formalisée, comment devient-on un breaker authentique, reconnaissable par tous ? Pour répondre à cette question, le sociologue Théo Delahaye a suivi les breakers de la crew (équipe) « Offensive » du Havre. Il ressort que le vrai breaker n’est pas celui qui réussit seulement à en maîtriser les règles, fût-ce à la perfection. Si le débutant a le droit – et le devoir – de copier les figures des anciens pour s’initier à la danse et en acquérir les valeurs, il est primordial qu’il trouve son propre style au plus vite. Une fois les bases techniques acquises et consolidées, le danseur doit faire preuve de singularité, sous peine d’être accusé de plagier les mouvements des autres. Lors des battles, les confrontations où chaque équipe fait la démonstration de ses talents, c’est aux anciens breakers d’arbitrer. Ce faisant, les « juges » standardisent et figent les représentations autour du breakdance, en même temps qu’ils prennent en compte la créativité et la motivation de chaque danseur. La reconnaissance institutionnelle du breakdance joue elle aussi un rôle ambigu puisque, comme le verdict des juges lors des battles, elle tend à figer une pratique spontanée et mouvante. Convié à un festival de danse au Havre, Samir raconte : « T’imagines ? C’est l’école d’art qui t’appelle pour danser chez elle alors que toi t’es quelqu’un des banlieues… Sans s’en rendre compte, grâce à la danse, on a créé de l’art en fait, et c’est ça qui est fort. »