Entre la tentation de la dénonciation, même noblement rebaptisée « pensée critique », et celle de l’essayisme, qui consiste à généraliser l’expérience personnelle de l’auteur, la voie des sciences humaines est étroite. Le problème n’est pas celui de l’objectivité. L’effort des chercheurs pour relativiser leur expérience sociale, critiquer leurs hypothèses et leurs résultats ne doit pas être ignoré. La voie qui leur est offerte est particulièrement étroite lorsqu’ils traitent des problèmes de la vie commune qui intéressent tous les citoyens et font le débat public. La citoyenneté, l’intégration, le multiculturalisme, la promesse républicaine, le projet démocratique : tous ces problèmes touchent au cœur de l’ordre démocratique. Les comprendre et les faire comprendre est une tâche qui échappe difficilement au débat politique. D’autres sujets, à première vue moins directement politiques, comme les transformations et les constantes de la vie sociale, n’échappent pas non plus à l’horizon politique des analyses des sociologues ni à la lecture qui sera faite de leurs résultats. Par exemple, une bonne partie de leur travail consiste à élaborer et analyser des données statistiques, lesquelles montrent que les inégalités se maintiennent, voire peuvent se creuser, dans les sociétés démocratiques. Et cela bien que le principe de l’égalité soit inscrit dans les textes constitutionnels, sur tous les bâtiments publics, et qu’il soit au cœur des aspirations et des valeurs de l’individu démocratique. Au-delà de la rigueur de leur élaboration, ces analyses ont une signification politique. Même si elles ne sont pas immédiatement partisanes, elles sont critiques, dans le double sens du mot : elles séparent le vrai du faux, et remettent en cause l’ordre existant.
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