Transformer un escalier de la gare Montparnasse, à Paris, en clavier de piano n’est pas une invention rigolote de cheminot mélomane : c’est le dernier cri en matière de politiques publiques et, dans la nouvelle langue des décideurs, cela s’appelle un nudge. Un nudge, c’est un « coup de pouce », en l’occurrence une sorte d’invitation à faire travailler ses mollets au lieu de se prélasser sur l’escalator. C’est a priori bon pour la santé du passager, sans que rien ne l’y oblige, et seul l’avenir dira si l’effet de ce dispositif musical valait la dépense. Car tout nudge est désormais l’objet d’un protocole d’observation serrée, signe s’il en est que ces petits trucs innocents sont les produits de quarante années de réflexion et d’expérimentation, lesquelles aspirent à fonder une nouvelle science de l’homme, celle de l’économie comportementale. Pour en comprendre le développement et le succès, rien de mieux que de se plonger dans l’autobiographie récemment traduite de l’économiste Richard Thaler 1, prix Nobel en 2017, et promoteur, avec le juriste Cass Sunstein, des politiques du nudge. À la fin des années 1970, R. Thaler est un jeune économiste atypique : il ne s’intéresse qu’aux « anomalies » des consommateurs et des marchés financiers. Pourquoi, pour l’achat d’une voiture, les gens préfèrent-ils une remise immédiate à un prêt plus intéressant à long terme ? Pourquoi les traders prennent-ils plus de risques le vendredi que le lundi ? Tout cela ne serait-il qu’une série d’accidents ? Mais non ! Deux psychologues israéliens, Daniel Kahneman et Amos Tversky, travaillent depuis des années sur des faits similaires en laboratoire.