Contre les déserts médicaux, les maisons de santé

Plus de 5 millions de Français habitent un désert médical. Et la situation ne cesse d’empirer. Les maisons de santé seraient-elles une solution efficace ?

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Saint-Étienne-de-Baïgorry, plus connu dans le territoire sous sa dénomination basque Baigorri, est un village entouré des montagnes aux formes arrondies de la Basse-Navarre. Situé à une dizaine de kilomètres de Saint-Jean-Pied-de-Port, le village comptait un peu plus de 1 500 habitants au dernier recensement de 2015. Jusque dans les années 2000, trois médecins généralistes assuraient la couverture médicale du village et de ses alentours.

En traversant la rue principale bordée par le fronton de pelote basque et par la terrasse ombragée d’un bar, le médecin Didier Lambert, retraité, désigne une haute maison aux volets rouges fermés : « Là, c’était le cabinet des deux docteurs, le bâtiment est clos désormais. » Un peu plus loin sur la route, sur le portail d’entrée d’une maison, une marque blanche témoigne de l’apposition d’une plaque désormais retirée. C’était le second cabinet. « Ils sont tous partis à la retraite, l’un d’eux a travaillé jusqu’à 74 ans, mais ils ne trouvaient pas de successeur. »

À Baigorri, dès le début des années 2000, les habitants et les élus locaux s’inquiètent : les médecins de la commune vieillissent et ne trouvent pas de jeunes pour reprendre leur activité. L’agence régionale de santé (ARS) classe le canton comme zone fragilisée. « C’est alors que le projet de maison de santé est né », explique Argitxu Cantero, kinésithérapeute, alors présidente de l’association qui a mené à la création de cette maison médicale. « La société civile et les élus locaux ont compris qu’on allait avoir un problème quand les médecins prendraient leur retraite. Il fallait faire venir des jeunes. À l’époque, on commençait à parler des maisons de santé pluridisciplinaires, cela nous a semblé la meilleure solution. » Le projet met près de dix ans à aboutir… La mairie rachète l’ancienne gare et la rénove. Les financements arrivent de la Région, du département, de l’ARS et de la mairie. En mars 2015, la maison de santé ouvre enfin. Elle accueille deux jeunes médecins généralistes aux côtés d’autres professionnels : infirmières, kinésithérapeutes, dentiste, podologue, sage-femme, etc. Aujourd’hui, 18 professionnels y exercent. Le village peut souffler, même si « la situation reste précaire. Dans l’idéal, il faudrait quatre médecins pour être confortables. Là, avec deux en poste et un troisième remplaçant qui devrait s’installer dès qu’il aura passé sa thèse, on couvre les besoins mais sans marge de manœuvre », analyse A. Cantero. Une situation que tous néanmoins apprécient : la menace d’un village sans médecin est écartée.

Les maisons de santé pluridisciplinaires sont toujours plus nombreuses à s’implanter dans les territoires en France. Un mouvement amorcé au milieu des années 2000 et qui se poursuit à un rythme soutenu. Reconnues par la loi depuis 2007, ces structures sont passées de 20 en 2008 à près de 910 en mars 2017. De nouveaux projets éclosent un peu partout, souvent menés par des institutions locales désireuses de lutter contre les inégalités de soins dans les territoires menacés de désertification médicale. L’ARS définit ces maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) comme « des structures de soins de premier recours qui réunissent des professionnels médicaux (au moins deux médecins) et paramédicaux. Elles reposent sur une coordination des soins, formalisée par un projet de santé et se distinguent en cela d’un simple regroupement de professionnels, de type cabinet de groupe. » Elles forment un pont entre un exercice qui demeure libéral mais intègre une dimension collective, un équilibre qui répondrait, selon ses promoteurs, aux défis contemporains de la médecine. Selon la sociologue Cécile Fournier, qui leur a consacré une thèse : « Ces modalités d’exercice sont présentées comme une solution aux défis que représentent le vieillissement de la population, l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques, l’accentuation des inégalités sociales de santé et l’irrésistible croissance des dépenses de santé. Elles s’inscrivent dans une remise en cause du système de santé français, construit historiquement sur un modèle curatif hospitalocentré et sur une médecine de ville d’exercice libéral et isolé. » Leur émergence est trop récente pour permettre une évaluation exhaustive de leur efficacité mais certains effets sont néanmoins notables.