Conversions : l'exemple du bouddhisme

Dans le contexte de la sécularisation et de la circulation généralisée des croyances en Occident, le phénomène de la conversion vue à travers le cas du bouddhisme semble caractéristique de notre modernité religieuse bien plus que du bouddhisme en lui-même.

La conversion désigne avant tout une démarche personnelle. Le fait « administratif », soit la reconnaissance d’un parcours de conversion validé par une institution, n’en est que la conséquence et la matérialisation. La conversion a à voir avec l’émotion des commencements. C’est un changement radical, la naissance à une vie nouvelle, que William James compare à la mue adolescente, marquée par l’accès à un savoir et à un mode d’action propres, eux-mêmes fondés sur des croyances, des rites, des injonctions morales, qui vont constituer les cadres institutionnels de la transmission religieuse. Mais c’est là que le critère de l’appartenance religieuse devient problématique, à partir de ce moment où l’on veut moins hériter une religion que l’acquérir par soi-même. Ce critère pose d’autant plus problème dans nos sociétés occidentales que l’on veut de moins en moins se reconnaître d’une appartenance exclusive.
La conversion constitue alors le degré supérieur d’un « processus dynamique » d’adhésion : un premier temps en continuité, un second temps en rupture avec le style de vie antérieur. Le récit de vie sera un outil précieux pour mesurer ce degré. C’est l’individu, par sa capacité à verbaliser son expérience avec les autres, qui est appelé à donner du sens à son présent vécu. Et cette nouvelle lecture de la réalité devient reconstruction personnelle.

Une combinaison de sources spirituelles

Cela pose un problème complexe à la sociologie de la religion, qui a dû passer de l’étude du « rôle régulateur des appareils religieux », selon l’expression de Danièle Hervieu-Léger (1), dans un passé où les Eglises proposaient une synthèse doctrinale, à celle de la « dissémination de l’imaginaire religieux », dans un présent où l’appartenance à un dogme précis a perdu de sa force. L’évolution théorique est consécutive à l’évolution du terrain : on assiste à une désinstitutionnalisation (une perte de l’influence exercée par les Eglises) et à une subjectivisation des croyances (chacun puisant dans différents systèmes de croyance selon ses besoins). Evolution que pressentait Emile Durkheim quand il se demandait si « un jour ne viendra pas où il n’y aura plus d’autre culte que celui que chacun se ferait librement dans son for intérieur (2) ».
Max Weber postulait que la conversion est un acte rationnel. Il estimait que celle-ci peut résulter soit d’un choix « intérieur » (intérêt moral ou spirituel), soit d’un calcul par rapport au monde extérieur – comme la conversion d’Indiens de la caste des intouchables dans le but d’échapper au sort auquel les assigne l’hindouisme.
Le phénomène de la conversion sera plus souvent abordé, aujourd’hui en Occident, du point de vue de l’expérience subjective. Comme l’explique Peter Berger, les bouleversements liturgiques, la démocratisation des biens de salut, l’autonomie du jugement et des conduites des fidèles ont consacré, dans les pays développés, l’effondrement des « légitimations religieuses du monde (3) ». Le religieux se retire progressivement dans la sphère privée, tandis que nos sociétés se dissocient de la religion (sécularisation). Cette tendance à la fin de l’institué au profit du « diffus » se traduit aussi dans des syncrétismes (Roger Bastide), marqués par la coexistence entre religions traditionnelles et nouveaux mouvements religieux. Dans nos sociétés sujettes à la « globalisation du religieux (4) », la rupture dans la transmission de la mémoire, de l’identité et de l’expérience religieuses (Maurice Halbwachs), ouvre une porte aux autres croyances et favorise aussi la possibilité de la conversion.
La conversion contemporaine éclaire sur la nature de la modernité religieuse, où une identité religieuse « authentique » ne peut être qu’une identité religieuse « choisie (5) », qui autorise les combinaisons multiples. L’évolution et la coexistence de plusieurs modes de relation au divin témoignent aujourd’hui en Occident d’un glissement vers le pluralisme, tant des systèmes de croyances que de la diversité des expériences au sein d’une même religion (6) : personnalisation du « croire » qui rend plus floues les frontières entre les religions, multiplie les manières de croire et de combiner des sources spirituelles, jusqu’alors distinctes, comme systèmes institutionnalisés.