Management, voici un mot au destin étrange : français d'origine, il est exporté aux Etats-Unis puis réimporté dans les années 50. En donner une définition n'est pas chose facile aujourd'hui. Le mot est usé à force de servir. Sa portée diffère selon que l'on se place du point de vue du micro-manager (celui qui fait tourner « la boutique » au quotidien, au milieu de son équipe) ou du macro-manager (celui qui essaie de voir loin, surplombant l'organisation). Une façon de sortir de cette impasse est de comprendre le management comme une formalisation de pratiques sous la forme d'énoncés pragmatiques. En l'absence de théorie du management, ces énoncés ne prennent leur sens que dans une perspective historique, c'est-à-dire à la lumière des problèmes qui se posent concrètement aux entreprises au fur et à mesure de leur transformation.
Ces problèmes peuvent se classer en trois groupes : 1) les problèmes relevant de la coordination des activités ; 2) les problèmes relevant de la coopération ; 3) les problèmes relevant de l'adhésion pour produire la performance. A ces problèmes, les discours managériaux répondent selon des niveaux d'analyse différents : les uns mettant l'accent plutôt sur l'organisation, les autres sur le manager et sur le leadership ou sur la culture organisationnelle.
Comment coordonner les activités
Les problèmes relatifs aux modes d'articulation des activités les unes par rapport aux autres renvoient à la traduction française de « management ». Tous les étudiants américains qui ont suivi un MBA ont encore en mémoire l'expression POSCORB, moyen mnémotechnique pour planning, organizing, staffing, directing, coordinating, reporting, budgeting 1. Cette séquence renvoie aux fonctions de base du management, décrites dès le début de ce siècle par le Français Henri Fayol, au moyen d'une succession de verbes : administrer c'est prévoir, planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler 2. Vaste programme !
C'est Peter Drucker qui a le premier clairement énoncé aux Etats-Unis le principe de direction par objectif comme méthode de coordination des activités. C'était dans les années 50. En France, cette méthode sera introduite dans les années 60, avec beaucoup de difficulté sous la houlette d'Octave Gélinier - qui ajoutera la dimension participative à la direction par objectif (DPPO) de façon à « lubrifier » les emboîtements hiérarchiques. Si les entreprises françaises ont fait leur ce sigle, elles n'en ont pas mesuré toutes les implications.
La gestion par objectif, s'appuyant sur une méthodologie complexe, a des effets structurants sur les activités, notamment des cadres opérationnels. Cette technique a l'effet des tests acides pour les lignes hiérarchiques qui seront les premières à parler de « gadgets » pour mieux les dénoncer et ne pas les appliquer. Les réticences portent sur la difficulté à définir les objectifs, à mesurer les résultats par rapport à ces mêmes objectifs, et sur l'incapacité d'engager des moyens suffisants pour « tenir » les objectifs. Résultat : la direction par objectif ne fut jamais que partiellement appliquée dans les entreprises françaises.
Depuis, d'autres techniques de coordination ont vu le jour telles que le Reengineering 3 ou la méthode dite ABC (Activity Based Costing). Apparues dans les années 80, ces deux méthodes s'inscrivent dans le droit fil des analyses de Peter Drucker 4. Il s'agit d'énoncer des principes qui visent à recueillir et analyser des informations qui reflètent les processus, plutôt que les découpages fonctionnels. Par processus, il faut comprendre une activité transversale, c'est-à-dire une activité qui met en jeu plusieurs fonctions, ayant un début et une fin, dont le coût peut être chiffré et à laquelle une responsabilité peut être attribuée. Dans cette perspective, on analysera, par exemple, le lancement d'un produit nouveau, de la naissance de l'idée à sa mise sur le marché. Après la pensée par objectif, on assiste donc à la pensée par « processus », autre mécanisme puissant de coordination. Là encore, le nombre de séminaires sur ces techniques est impressionnant. Cependant, leur mise en place est aussi difficile que pour la DPO ; la structure fonctionnelle de l'entreprise est souvent évoquée pour expliquer le rejet. Mais ce dernier s'explique aussi par la crainte des cadres d'être pris dans une dynamique de « dégraissage », de raccourcissement des lignes hiérarchiques, des réductions de frais généraux.