Un siècle de réflexion sur les organisations

La réflexion sur l'organisation a débuté avec le xxe siècle. A la volonté de rationalisation s'est progressivement ajoutée une prise en compte des relations humaines.

L'analyse des organisations, particulièrement celle des entreprises, constitue un continent entier du savoir et fait l'objet d'un nombre considérable de publications. Pour Renaud Sainsaulieu : « l'entreprise, comme institution économique et sociale majeure de notre époque industrielle, a été le théâtre d'une histoire d'imagination structurelle considérable. Et ce n'est pas l'un des moindres effets de sa créativité institutionnelle que d'avoir ainsi permis une accumulation, maintenant planétaire et non plus seulement occidentale, de théories sur le problème général de l'organisation de collectifs humains de production. » 1 Ainsi, depuis près d'un siècle, les sciences humaines se sont penchées sur la question jusqu'à fournir aujourd'hui un ensemble doctrinal et problématique considérable. Pour interpréter un engouement aussi constant, il faut se souvenir que le mot « organisation » désigne toutes les formes d'associations réalisées en vue d'objectifs déterminés. Il englobe donc pratiquement toutes les formes associatives.

Les entreprises ont fait l'objet de l'attention principale parce qu'elles constituent depuis le xixe siècle l'un des éléments centraux des sociétés industrielles et postindustrielles. Leur direction, leur rationalisation, qui constituent un aspect fondamental de leur développement, ont fait les premières l'objet d'étude.

L'ingénieur rationnel

La notion d'organisation a émergé au tournant du xixe et du xxe siècle, dans une situation économique, sociale et politique particulière : sur le plan économique le développement des grandes industries, sur le plan politique celui des bureaucraties d'Etat. La nécessité de rationaliser les formes d'organisation des entreprises pour faire face aux accroissements d'échelle a rencontré la volonté scientiste des ingénieurs et le développement d'une réflexion sociologique. Plusieurs auteurs se détachent et leurs travaux vont avoir des conséquences notables sur l'analyse et le management des entreprises.

Le plus connu des auteurs de l'approche rationnelle des organisations est Frederick W. Taylor (1856-1915). D'abord ouvrier puis ingénieur dans la sidérurgie, ce consultant américain fut obsédé par l'efficacité. Il met en oeuvre « l'organisation scientifique du travail » sur la base de recherches menées dans des entreprises sidérurgiques de Pittsburgh. Dans son ouvrage majeur, La Direction scientifique des entreprises, publié en 1911, Taylor prône l'organisation scientifique des tâches accomplies par les ouvriers et tous les membres de l'entreprise. L'organisation qu'il appelait de ses voeux devait être fondée sur une division verticale du travail (la direction coordonne et détermine les conditions de travail). Elle devait procéder à un choix scientifique des exécutants (« the right man on the right place ») et définir exactement les tâches de chacun d'entre eux («the one best way »). Outre une standardisation poussée à son maximum, Taylor souhaitait l'établissement du salaire au rendement censé constituer une motivation importante pour des ouvriers, que l'on considérait comme des agent rationnels maximisant de manière consciente leurs gains monétaires. Il est vrai que l'industrie américaine du début du siècle employait une main-d'oeuvre fraîchement immigrée, prête à accepter des contrats avec des rémunérations variant en fonction du rendement.

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Dans une volonté similaire de rationalisation, un ingénieur français, Henri Fayol (1841-1925), théorisa l'administration des entreprises. Il définit le contenu de la fonction administrative (la direction) selon une formule simple : planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler. Cette formalisation est restée le socle de la réflexion manageriale jusqu'à nos jours.

La troisième figure incontournable de la mise en place d'une réflexion sur les organisations est celle du sociologue Max Weber et sa définition des formes de pouvoir en organisation. Pour lui, la source et la forme du pouvoir se modifiaient depuis deux siècles. Dans les sociétés modernes, contrairement aux socétés traditionnelles, la capacité d'action des chefs, leur autorité, s'appuient en priorité sur la légalité de leur fonction et la rationalité de leurs décisions. Max Weber définit l'administration bureaucratique idéale, strictement hiérarchisée mais parfaitement efficace. Dans cette forme d'organisation, qu'elle soit une entreprise ou une bureaucratie d'Etat, les règles sont impersonnelles, transparentes et applicables à tous permettant précision, rapidité et efficacité.