En droit criminel, nous vivons actuellement sur un des acquis des Lumières et de la Révolution : le principe de légalité selon lequel il n'existe ni crime ni peine sans un texte émanant du législateur. Au xviiie siècle en revanche, la loi n'est pas l'unique source des incriminations et des peines. Certains secteurs criminels échappent à son emprise, au bénéfice d'une sorte de coutume pluriséculaire. Celle-ci est composée notamment d'une doctrine pénale, construite par des juristes à partir du droit romain et du droit canon ; et par ailleurs d'une forme de jurisprudence, à partir des décisions judiciaires rendues par les parlements - les cours d'appel de la monarchie -, omnipotents dans leur ressort judiciaire respectif. En un mot, la monarchie n'a pas de code pénal. A partir de 1670, il existe bien une ordonnance criminelle, mais elle ne vise qu'à mettre de l'ordre dans une procédure criminelle archaïque.
Décapité et jeté au feu...
Sous l'Ancien Régime, imprégné de culture chrétienne, tous les crimes sont imputables aux passions : oisiveté, concupiscence, colère... De ces passions naissent des conduites contraires à la morale et nuisibles à la société, qui font donc l'objet d'incriminations législatives ou coutumières. Selon une expression du temps, les atteintes « à la religion, au repos de l'Etat et au repos du public » constituent les infractions majeures. Montesquieu adoptera d'ailleurs une classification assez proche dans L'Esprit des lois.
« En France, tout ce qui regarde la religion fait partie du droit public français », écrit au xviiie siècle le juriste Durand de Maillane (1729-1814), futur constituant. Le lien pénal entre religion et politique est illustré par la notion de « lèse-majesté divine et humaine ». Cette expression d'origine romaine recouvre des incriminations précises, mais aussi une nébuleuse d'agissements réputés attentatoires à l'Etat, à la religion et à la morale.
Le crime de lèse-majesté divine se commet par la parole ou par des actes. Le langage étant loin d'être policé au xviiie siècle, le juron ou blasphème courant n'est guère réprimé. Pour déclencher les foudres de la justice, il doit être « exécrable », « énorme », l'énormité étant à l'appréciation des juges. Ceux d'Abbeville, en 1766, estimèrent qu'elle méritait au jeune chevalier de la Barre d'être décapité et jeté au feu. Lorsque des objets sacrés ou des lieux consacrés à Dieu sont profanés, le sacrilège n'appelle jamais l'indulgence ; le coupable est destiné, selon le cas, au feu ou à la corde. Le suicide, ou « homicide de soi-même », est aussi une offense à Dieu, dispensateur de la vie. Aussi l'ordonnance criminelle de 1670 dispose que « le procès pourra être fait au cadavre ou à la mémoire du défunt ». Si le suicidé a « réussi » son suicide, son cadavre sera « traîné sur une claie, la face tournée contre terre, attaché par les pieds au derrière d'unecharrette, et ensuite pendu par les pieds ». S'il l'a, au contraire, manqué, il risque fort, après avoir été, le cas échéant, soigné, d'être pendu par le col. Quoi qu'il en soit, ses biens seront confisqués. Seule la preuve de la démence peut être une cause d'exonération de responsabilité.
Le crime de lèse-majesté humaine, quant à lui, recouvre plusieurs infractions hiérarchisées par la doctrine. Au « premier chef », le régicide et la haute trahison : en ce cas, non seulement la tentative est égale à l'accomplissement, mais la démence n'excuse pas le coupable, sauf si le roi consent à gracier l'insensé. Si l'accusé a péri avant d'être jugé, procès sera fait à son cadavre et à sa mémoire. Du crime de lèse-majesté « au second chef » relèvent les complots contre les ministres et chefs militaires, mais aussi le faux-monnayage et le duel. Même s'il n'est plus considéré, au xviiie siècle, comme une forme de rébellion politique, le duel reste un crime imprescriptible et non- rémissible : lors de son sacre, le roi jure de ne jamais le pardonner. En pratique, il lui arrive de se parjurer...