Partie, lors de sa dernière recherche, sur la piste des pratiques culturelles juvéniles, Dominique Pasquier a mené une enquête dans trois lycées d’Ile-de-France. Le premier, qu’elle a appelé le lycée Boileau, est un de ces établissements parisiens d’enseignement général très cotés où se pratique allégrement la sursélection sociale et scolaire. Les deux autres sont des lycées de grande banlieue, avec des sections générales et technologiques et un recrutement social mixte. Les résultats, contre toute attente, décrivent une culture juvénile rigide, très normative et fortement clivée entre garçons et filles. Voilà qui a conduit D. Pasquier à réinterroger les rapports de force entre cette culture des pairs et la culture « héritée », celle des parents et des institutions, qui semble avoir perdu, au moins pour les jeunes, son statut de culture dominante.
Comment une enquête sur la culture des jeunes vous a-t-elle menée à une interrogation sur les transmissions entre les générations ?
Sans savoir exactement ce que je cherchais, je partais d’une question de base qui était : en quoi les pratiques culturelles, les pratiques de loisir sont-elles liées aux pratiques de communication, et comment s’inscrivent-elles dans les sociabilités quotidiennes ? Les questions touchant à la crise des transmissions sont venues, outre de mes lectures du moment, de l’énorme différence entre le lycée Boileau et les lycées de banlieue.
Concrètement, je voyais que le modèle de la reproduction culturelle, tel que l’avaient formulé Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Les Héritiers (1), ne fonctionne plus que dans des conditions sociales très particulières, comme celles du lycée Boileau. L’évitement scolaire et la sursélection sociale en font une sorte de niche, où se transmet une « sous-culture du haut ». Les parents y ont une attitude très ferme concernant la transmission culturelle : les enfants sont mis au conservatoire, ils ont systématiquement des vacances à vocation culturelle (séjours linguistiques par exemple), ils sont amenés au musée… Il y a une volonté énorme, un effort sans relâche de la part des parents pour maintenir un lien avec la culture humaniste. Et surtout des stratégies pour éviter qu’entrent dans leur foyer les nouveaux médias. C’est cela qui m’a frappée : j’avais en face de moi des jeunes très sympathiques, qui me disaient qu’ils ne pouvaient pas regarder la télévision, que les jeux vidéo c’était éventuellement chez les copains mais pas chez eux – on voyait bien que c’était une culture encadrée. Du coup, l’école intervient là en renforcement de l’action parentale, comme dans le modèle des Héritiers. Mais, encore une fois, c’est un contexte très particulier.