Dans les arcanes du palais

On connaît les grandes affaires. Celles qui s’étalent dans les journaux, la justice des faits divers glauques, les procès des tueurs en série ou des crimes passionnels. L’affaire du petit Grégory ou le procès Fourniret… Mais la justice pénale* aujourd’hui échappe en réalité aux regards. Sait-on ainsi que la forme traditionnelle du procès contradictoire est presque une exception ? A-t-on conscience que la justice tend de plus en plus à être déléguée à des personnes qui ne sont pas des magistrats professionnels ? L’institution judiciaire est aujourd’hui traversée par des mutations majeures qui trouvent peu d’écho dans le grand public alors même qu’elle constitue un enjeu social et démocratique de premier plan. Restreinte à un petit sérail, la réflexion de fond sur la justice, qui rebute souvent par sa technicité, reste en France une affaire de spécialistes. Les tours d’ivoire sont ici des palais de justice, ses protagonistes ont d’étranges rituels et un langage technique, parfois ampoulé, qui a l’art de faire fuir les profanes.

On ne peut en rester à la justice spectacle. Il faut entrer dans les coulisses pour comprendre comment elle se fabrique au jour le jour, pour saisir les mutations décisives qui aujourd’hui la touchent. Elles donnent à voir une institution qui reflète les préoccupations sociales et politiques, une organisation et des acteurs en prise avec des impératifs parfois contradictoires. Pour cela, les sciences humaines, et notamment la sociologie du droit, apparaissent fort utiles. Les enquêtes permettent de soulever le bord du rideau, d’observer et d’interroger les pratiques, de voir la justice en train de se faire. Angèle Christin (article p. 44), à travers la description fine et l’analyse des comparutions immédiates, ressaisit l’ensemble de la chaîne depuis le moment où l’affaire est communiquée par la police au substitut du procureur jusqu’à l’audience où elle est jugée. Elle met en évidence l’importance de l’ensemble du processus dans la reconnaissance de la culpabilité du prévenu et en particulier du début de la procédure. Où l’on voit s’amorcer une véritable course contre la montre qui ne permet guère de faire dans le détail.

 

Idéologie de la performance et obsession de la sécurité

Faire vite et être efficace n’est pas un impératif réservé aux seules comparutions immédiates. Cette injonction est désormais omniprésente dans le champ de la justice. Cette dernière fait face aux impératifs d’un nouveau management public qui entend la réformer en simplifiant ses procédures, en augmentant sa productivité. On reprochait à la justice sa lenteur et son inefficacité. Les lourdeurs administratives et le manque de moyens et d’effectifs aboutissaient à des retards considérables ; il n’était pas rare que les tribunaux soient saisis des mois voire des années après les faits, parfois à la limite de la prescription. Alors que le taux de réponse pénale* était de 35 % au début des années 1990, il s’élève désormais à 83,7 % (source : ministère de la Justice). De ce point de vue, les progrès sont nets. Mais les changements sont-ils seulement administratifs ? Assurément non. C’est ce que montre l’examen d’une innovation importante mais mal connue du grand public, le traitement en temps réel des affaires pénales (TTR) qu’analysent les sociologues Christian Mouhanna et Benoît Bastard (article p. 40). Sans tambour ni trompette, c’est une « révolution silencieuse » qui fait son chemin. En quelques minutes, par téléphone, le substitut du procureur doit décider du sort d’une affaire à partir de ce que lui en disent les forces de police. Il est devenu le grand aiguilleur du ciel de la justice. Le temps de la réflexion est mince, il faut aller vite, privilégier les réponses pénales les plus efficaces. Sous la pression, le traitement en temps réel a pour conséquence d’instaurer de facto des barèmes, mettant à mal le principe de l’individualisation des peines.

(1) www.maitre-eolas.fr/2008/10/12/1107-le-degout#co