De l'homosexualité au problème du «genre»

Michel Foucault a influencé les fondateurs 
des gender studies anglo-saxonnes. Sa « french theory » 
a fait école, outre-Atlantique notamment.

Michel Foucault n’a jamais évoqué les gender studies : de son vivant, elles émergent à peine et sont encore confinées outre-Atlantique. Le philosophe reste cependant une influence majeure pour les universitaires qui se sont emparés du « genre » ces dernières années : la philosophe Judith Butler, l’historienne Joan W. Scott, le sociologue Michael Kimmel… Tous s’inspirent des travaux de Foucault sur l’individualisme, l’exclusion ou encore la sexualité, voyant là des pistes prometteuses que lui-même n’aura pas explorées jusqu’au bout.

Dans les années 1970 en effet, Foucault s’intéresse aux débats sur le féminisme, le mariage homosexuel ou encore les mécanismes d’assignation sociale. Il s’engage aux côtés de mouvements militants pour une réforme des droits civiques – terreau politique des gender studies à moyen terme –, voyant là une opportunité d’ouvrir le champ des possibles. « Nous devrions considérer la bataille pour les droits des gays comme un épisode qui ne saurait représenter l’étape finale », détaille-t-il dans une interview 1 : « Nous vivons dans un monde légal, social, institutionnel où les seules relations possibles sont extrêmement peu nombreuses, extrêmement schématisées, extrêmement pauvres. Il y a évidemment la relation de mariage et les relations de famille, mais combien d’autres relations devraient pouvoir exister ? »

Ce qui est fondamental pour lui, c’est de pouvoir remettre en question les relations sociales qui s’imposent comme naturelles, évidentes et allant de soi. Le couple, la parenté ou encore la filiation sont pour Foucault des inventions récentes, de même que l’amour ou l’amitié. Foucault entreprend de retracer leur genèse dans son Histoire de la sexualité, inachevée, composée de trois tomes publiés entre 1976 et 1984. Comme l’explique le philosophe Philippe Sabot 2, ce n’est pas tant une histoire des pratiques sexuelles qui l’intéressent qu’une analyse des discours sur le sujet, de leurs effets sur les comportements et les rapports sociaux. Foucault contribue ainsi à dénaturaliser et à politiser la « sexualité », montrant qu’elle est porteuse d’injonctions normatives. En toile de fond, l’idée que « le sexe » n’est pas une donnée empirique au-dessus de toute critique, intangible, neutre et universelle, sera reprise dans le cadre des gender studies.