A partir de quel âge l'enfant pense-t-il, forme-t-il des symboles, des représentations cognitives ? Jean Piaget aurait répondu « pas avant 2 ans ». Toutefois, depuis les années 80, de nouvelles découvertes remettent en cause certaines notions centrales de la théorie de Piaget. Dès 3 ou 4 mois, le bébé serait déjà capable d'une certaine forme de pensée.
J. Piaget distingue clairement l'intelligence du bébé de celle de l'enfant 1. Jusqu'à l'âge de 2 ans environ, le bébé interprète le monde qui l'entoure sur base de ses sens et de ses actions. Ce stade est dit « sensori-moteur ». A cette période de la vie, le bébé apprend certaines règles sur le fonctionnement du monde physique et sur sa capacité à agir dessus. J. Piaget appelle ces règles « schèmes d'action ». Mais cette forme d'intelligence rend le bébé très dépendant de l'instant présent et des objets concrets. Par exemple, il est capable d'imiter le geste que sa mère est en train de faire, mais il n'est pas capable de l'imiter de façon différée. En revanche, à partir de 2 ans, l'enfant commence à être capable de se représenter un objet qui est absent. L'intelligence du jeune enfant devient donc « représentative ». Cette capacité se manifeste notamment dans l'imitation différée, mais également dans le « jeu symbolique » (par exemple, la petite fille qui joue à la maman), dans le dessin et dans le langage. L'enfant de 2 ans se sert alors des schèmes d'action qu'il a appris au stade sensori-moteur, mais cette fois avec une distance par rapport au réel. Il se met à les intérioriser et à les combiner mentalement. C'est, selon J. Piaget, le début d'un nouveau stade de développement : celui de la préparation et de la mise en place des opérations concrètes (de 2 ans à environ 12 ans) où l'enfant va progressivement construire et appliquer les concepts fondamentaux de sa pensée, tels que le nombre, l'inclusion des classes, etc. Selon la théorie de Piaget, donc, l'enfant ne possède les capacités de pensée, au sens d'une représentation du réel en son absence, qu'à l'âge de 2 ans.
Au cours des années 80 et 90, la théorie de J. Piaget a été fortement remise en question. Une nouvelle méthodologie (permise par l'usage de la vidéo et de l'informatique) propose de mesurer les compétences cognitives du bébé à partir de son temps de fixation visuelle des objets. Le principe de base de cette méthode est que, lorsqu'un enfant est surpris par une situation parce qu'il la considère comme nouvelle ou impossible, il la fixe plus longtemps. Cette méthode a permis la découverte de compétences cognitives précoces chez le jeune enfant et le bébé 2. D'où de nouvelles interrogations sur l'émergence de la pensée : n'y a-t-il pas déjà certaines formes de représentations cognitives, de concepts (« protoconcepts », « principes cognitifs ») avant 2 ans, voire dès les premiers mois de la vie ? Si la réponse est oui, quel est alors le statut de ces premiers systèmes cognitifs et que reste-t-il de la distinction introduite par J. Piaget entre l'intelligence strictement pratique, sensori-motrice (celle du bébé) et l'intelligence représentative, symbolique et conceptuelle (celle de l'enfant) ? Les réponses à ces questions sont essentielles pour la redéfinition du développement cognitif. Cette opposition à J. Piaget, et surtout cette nouvelle conception de l'émergence de la pensée, est très bien illustrée par la question de la notion de nombre.