Débats d'idées, a-t-on oublié la règle du jeu ?

En gagnant l’espace public, les médias et les réseaux, les débats qui agitent la vie académique et intellectuelle ont pris le tour d’une polémique sans merci, dont l’enjeu est l’annulation de l’adversaire.

« Nous déplorons ces inquiétantes dérives qui voient la morale, l’émotion, l’attaque personnelle remplacer la réflexion, l’argumentation, l’intelligence collective », écrivait un collectif de chercheurs en sciences humaines dans une tribune du Monde le 23 février dernier 1. De son côté, Jean Birnbaum, directeur du Monde des livres, renchérit en citant Albert Camus : « Nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison. » Et il ajoute : « Partout de féroces prêcheurs préfèrent attiser les haines plutôt qu’éclairer les esprits 2. » Ce disant, il a surtout en tête les réseaux sociaux, qu’il avoue avoir délaissés en observant que, désormais, « l’insulte le disputait à la calomnie ». Et cette solution serait simple si les trois sphères, celle du numérique, celle des médias, et celle des publications savantes n’étaient également traversées par les mêmes orages. La « cancel culture », accusée de régner sur les bancs des universités, est-elle autre chose qu’une généralisation du très cybernétique pouce vers le bas ?, demande Isabelle Barbéris 3. À leur tour les médias et les éditeurs ne peuvent y échapper : de tribune en tribune, de pamphlet en pamphlet, on s’envoie à la figure l’islamo-gauchisme, le néoféminisme et la « vague identitaire » d’un côté, un « vent réactionnaire » et la censure d’État de l’autre. Aurait-on perdu de vue les règles du débat argumenté au profit d’une guerre sans merci ?