Au cours du 19e siècle s’accrédite en Occident le projet d’édifier une science des rêves. Des médecins, des philosophes, des psychologues, des médecins et des « amateurs cultivés » analysent leurs propres productions nocturnes et collectent celles d’autrui, en cherchant à dégager les rêves des « superstitions ». Loin d’avoir un caractère prémonitoire, ceux-ci sont, selon eux, des phénomènes psychologiques ou physiologiques naturels susceptibles d’être étudiés objectivement comme des faits. Collectionner et analyser ses rêves dans un but scientifique renvoie à une pratique bien établie, à laquelle Sigmund Freud obéit lorsqu’il publie en 1899 L’Interprétation du rêve.
Cependant, beaucoup d’Européens de l’époque achètent des « onirocritiques » ou clefs des songes. Ces petits dictionnaires regroupent par ordre alphabétique des thèmes oniriques indiquant le sens à leur donner.
Ces publications renvoient à une tradition très ancienne, remontant notamment au Grec Artémidore d’Éphèse (2e siècle). Son Onirocritique, traduite, adaptée et largement diffusée depuis la Renaissance, distingue les rêves naturels ne requérant aucune interprétation de ceux qui sont prémonitoires de deux manières : à côté des visions qui annonceraient clairement l’avenir, il y aurait en effet des visions dites allégoriques, dans lesquelles un contenu apparent renverrait à un sens caché, symbolique, analogique, antithétique, etc. Et c’est dans ce cas que des clefs des songes seraient requises pour les interpréter.
Avez-vous rêvez de chiens
Beaucoup de ces publications se vendent dans les campagnes mais aussi dans les villes. Alfred Maury, érudit et historien du 19e siècle, professeur au Collège de France, rapporte qu’à son époque, des marchands ambulants se déplacent dans les rues de Paris et font de la publicité auprès des badauds en criant : « Avez-vous rêvé de chien ? Avez-vous rêvé de chat ? » Généralement, selon ces brochures, rêver de chat est en effet de mauvais augure, à l’inverse de rêver de chien. Les clefs des songes ciblent un public plutôt féminin et populaire, mais d’autres, plus chères et mieux imprimées, s’adressent sans doute à un lectorat plus bourgeois et plus cultivé. Des acheteurs semblent être fermement persuadés de la véracité de leurs visions nocturnes, mais d’autres peuvent croire à demi, de façon amusée, comme en témoignent certaines publications adoptant un ton divertissant, voire grivois.