Des vies sur le fil

Les chemins de la précarité souvent sinueux. Histoires familiales et accidents de la vie interagissent la plupart du temps. Comment s’en sortir ?

Devenir précaire n’est ni une voie unique, ni un processus aléatoire. Si la précarisation est souvent évoquée comme un basculement brusque ou une chute violente dans la précarité, l’idée d’un monde des précaires homogène et déconnecté des autres sphères sociales est erronée. Les « chemins de la précarité » sont divers et souvent tortueux, comme le montre l’analyse des processus de déclassement et de précarisation, saisis par les trajectoires individuelles.

Une enquête collective réalisée en 2012 1, qui visait à questionner le rapport au politique des précaires dans le cadre de l’élection présidentielle, a permis de recueillir les récits de vie de 114 individus. Ils ont été rencontrés dans le cadre de structures d’aide sociale dont ils dépendaient à des degrés divers (structures d’accueil de jour, distributions de colis alimentaires, commerces solidaires, structures d’hébergement et d’insertion sociale) à Paris, Bordeaux et Grenoble.

En hériter ou basculer dans la précarité ?

L’étude des entretiens permet de mieux comprendre comment on devient précaire dans les années 2010, dans un contexte où la crise financière et économique a contribué à déstabiliser davantage des trajectoires déjà fragiles. Si la précarité est parfois « héritée » de l’histoire familiale et pèse sur les trajectoires dès l’enfance, on y bascule aussi suite à des accidents professionnels, de santé, ou familiaux, dont les effets ont tendance à interagir de manière cumulative ou consécutive.

Certaines trajectoires sont marquées par la précarité dès le départ. Elle est en quelque sorte « héritée ». Le parcours des personnes concernées est influencé par la pauvreté des parents et l’instabilité familiale. Par exemple, s’y retrouvent des épisodes de maltraitance, des violences, le passage par des foyers ou d’autres institutions, des problèmes de santé ou l’absence de formation. Les individus concernés ne parviennent pas à stabiliser leur situation par la suite, notamment à s’insérer durablement dans le monde du travail. Le cumul de handicaps dès le départ fragilise sur le long terme. Le moindre événement difficile devient un coup dur qui peut précariser durablement. Les points d’inflexion, allant de la perte d’emploi à la perte de logement, sont d’autant plus nombreux et la précarisation d’autant plus importante.

publicité

Pourtant, dans de nombreux cas, la précarité de départ influence moins la vie ultérieure des individus. La précarisation peut aussi intervenir plus tard dans les parcours de vie. Près d’un quart des enquêtés a poursuivi ses études jusqu’au baccalauréat, voire au-delà. Un peu moins d’un quart exerce toujours un emploi. La majorité a vécu en couple et près des deux tiers ont eu des enfants, même si le contact avec eux est souvent rompu.

Le basculement dans la précarité se fait parfois brutalement. Cette situation laisse aux enquêtés le sentiment d’avoir vécu un « avant » (une situation stable) et un « après », caractérisé par la précarité. C’est le cas de ceux qui avaient une situation financière confortable. Le basculement entraîne une transformation complète et profonde des modes de vie. La vie d’avant est évoquée avec nostalgie et regret tandis que la situation actuelle est assimilée à une condition de survie à laquelle il est difficile de trouver un sens auquel se raccrocher.