Donald W. Winnicott : psychanalyste de l'enfant

Quarante ans après sa mort, les conceptions de Donald W. Winnicott en font un précurseur sur des questions très contemporaines : 
délinquance et conduites antisociales, perte d’identité, échec scolaire…

Nous sommes au Royaume-Uni, à la fin des années 1930. Alors que se développe depuis quelques années la psychanalyse de l’enfant, deux sommités cliniques se livrent une âpre guerre idéologique au sein de la British Psycho­analytical Society, entraînant progressivement dans leur sillage tout l’establishment psychanalytique européen. D’un côté, les partisans d’Anna Freud estiment que le traitement psychanalytique d’enfants a des objectifs psychopédagogiques et éducatifs. De l’autre, les disciples de Melanie Klein soulignent que le cadre de la cure doit être strictement psychanalytique et que le jeu et les fantasmes y ont une part fondamentale. Ces grandes controverses aboutiront à la formation de trois groupes : celui d’A. Freud, celui de M. Klein, et celui du middle group, qui ne souhaite pas prendre parti pour l’un ou l’autre camp. Loin de ces querelles de clocher, un homme s’impose en quelques années, avec des idées a priori simples et concrètes mais en réalité d’une subtilité redoutable, comme l’un des psychanalystes les plus inventifs de sa génération.

Donald Woods Winnicott n’était pas à proprement parler un grand théoricien. Mais plutôt, selon le mot du psychanalyste André Green, « une sorte de penseur spontané ». Suivant en cela la grande tradition de l’empirisme britannique, pour Winnicott, « la pensée était profondément liée à l’expérience »(1). Surtout, c’était un esprit libre dont l’inébranlable indépendance le fit se situer à l’écart de tout dogme.

 

Un esprit libre

Athlète remarquable, une fracture de la clavicule lors d’une partie de rugby à l’âge de 16 ans est très curieusement à l’origine de sa vocation de médecin. « Je ne pouvais pas imaginer que, pendant tout le reste de ma vie, je serais obligé de dépendre des médecins, au cas où je me blesserais ou tomberais malade, racontera-t-il. Le meilleur moyen de m’en tirer, c’était de devenir médecin moi-même. »

Alors qu’il est encore à l’école de Cambridge, il se prend de passion pour L’Origine des espèces de Charles Darwin et dévore ensuite la totalité de son œuvre. Nouveau choc en 1919, lorsqu’il découvre L’Interprétation des rêves de Sigmund Freud. Ses études de médecine achevées, les limites d’une approche médicale purement physiologique le gênent. Dès 1923, il commence sa formation d’analyste, en même temps qu’il tient des consultations en pédiatrie dans deux hôpitaux différents. Là, il écoute, parle avec les enfants, rencontre leurs parents, soigne, enseigne et développe des théories révolutionnaires pour l’époque : l’enfant doit jouer pour apprendre, créer pour se développer.

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L’environnement, pilier du développement de l’enfant

Tout en choisissant M. Klein comme superviseur, Winnicott se sépare radicalement de ses idées dès son travail sur La Défense maniaque, en 1935. Elle postule l’existence de fantasmes et d’un moi définissables chez le nourrisson, dès la naissance. Très marqué par ses observations d’enfants devenus délinquants à la suite de séparations traumatiques pendant la Seconde Guerre mondiale, Winnicott pense quant à lui que ce ne sont pas les fantasmes mais l’environnement qui a une importance de tout premier plan dans le développement psychique de l’enfant. Ainsi lorsqu’il déclare qu’« un bébé ça n’existe pas », il faut y comprendre qu’un bébé n’existe jamais seul car il y a toujours une mère ou une personne de l’entourage pour le materner. Au début de la vie, explique Winnicott, le nourrisson est dans une dépendance absolue à son environnement. Le bébé a un « potentiel inné ». Mais ce potentiel ne peut s’actualiser que grâce à la « préoccupation maternelle primaire », une disposition psychique particulière qui se met en place durant les dernières semaines de la grossesse et qui permet à la mère, en s’identifiant à son bébé, de lui apporter « à peu près au bon moment » ce qui lui est nécessaire.