Du bon usage des campagnes de prévention

Vache folle, sida, tabac..., face à ces redoutables épidémies et risques pour la santé, force est de développer la prévention. Celle-ci passe notamment par l'élaboration de campagnes d'information et de formation, véhiculées par les médias et relayées par des actions ciblées.

Les risques pour la santé occupent une place de choix aujourd'hui dans la quotidienneté incertaine des pays dits « riches » ou « avancés » et corrélativement s'impose la nécessité d'y faire face. Depuis une vingtaine d'années, une sociologie d'après-Tchernobyl a déclenché un questionnement instruit et vigilant de la nouvelle « société du risque » qui émerge des catastrophes et des menaces de l'univers contemporain 1. Avec le retour d'épidémies incontrôlables et d'infections menaçantes pendant des durées imprévisibles (les nouvelles comme celles de la vache folle, du sras, de l'hépatite C, mais aussi les anciennes comme la tuberculose qui fait son retour), avec le choc de l'irruption du sida et la montée en puissance d'une épidémiologie des facteurs de risques qui s'applique à l'ensemble des registres de la vie quotidienne (alimentation, travail, loisirs, vie sexuelle, etc.), une pratique sociale de prévention ne cesse de se développer, sans parvenir à contenir une envahissante « institution de l'inquiétude 2 ». L'activisme, l'urgence et les craintes collectives médiatisées occupent la scène mais, sur l'incitation de pouvoirs publics passablement bousculés, on amorce depuis quelque temps un effort de clarification et d'évaluation 3. Cet effort se concrétise au point de rencontre, souvent conflictuel, de la recherche des sciences sociales et de la pratique des agents de santé engagés dans les batailles du risque sanitaire.

Dans le champ de la santé, les objectifs de prévention sont multiples mais il est commode de les rattacher au découpage que l'OMS a mis en place depuis une trentaine d'années pour classer les différentes possibilités de « prévenir », en prenant comme critère la distance que l'on a par rapport à la maladie. En prévention « primaire », la maladie n'est pas encore là et l'on agit pour éviter une maladie, une blessure ou un accident.

Des enjeux et des buts diversifiés

En prévention « secondaire », on se préoccupe des personnes déjà atteintes d'une maladie ou d'une pathologie médicalement identifiable. Il s'agit de dépister ceux qui sont malades sans le savoir ou sans vouloir le savoir, et de traiter assez tôt pour arrêter ou renverser l'évolution d'une pathologie. Ce domaine d'intervention s'étend de plus en plus avec l'avènement de la médecine prédictive et les possibilités du conseil génétique, pour le cancer en particulier. On peut ainsi considérer comme cibles de prévention des personnes qui ont des cancers virtuels (cancer du sein par exemple) par hérédité, ce qui crée un état problématique qui n'est ni la bonne santé ni la maladie, mais l'état de risque.

A ces deux champs déjà très larges de la prévention s'ajoute maintenant une prévention « tertiaire » qui se préoccupe de diminuer ou retarder autant que possible le développement de handicaps ou de séquelles liés à l'évolution naturelle des maladies, ou encore de prévenir la dépendance et la perte d'autonomie. Ceci se travaille activement dans les projets d'amélioration de la qualité de vie des patients et se poursuit dans une prévention « quaternaire » qui, dans un stade de maladie inexorablement avancé, tente de prévenir les souffrances physiques ou morales et d'accompagner le processus de la mort.

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C'est la prévention primaire qui dispose sans aucun doute du plus grand capital d'expériences et de moyens d'actions jusqu'à présent. Toutefois, elle ne se nourrit plus seulement d'une visée d'évitement. Elle tente de prendre appui sur le renfort optimiste de la promotion de la santé. Elle tend aussi à se prolonger sur le terrain de la prévention secondaire. En effet, avec l'expansion de l'autoprescription de médicaments, l'avancée continue des maladies chroniques, l'allongement de l'espérance de vie, les frontières et les passages entre santé et maladie deviennent plus indécises 4, ce qui se traduit par le développement de campagnes dirigées vers les malades 5 et non plus seulement vers l'ensemble des bien portants qu'il faut préserver des dangers.

Il y a donc une diversification déroutante mais inéluctable du champ de l'action préventive, les stratégies mises en place se réduisant néanmoins fondamentalement à deux finalités complémentaires. La principale vise à réduire les risques en induisant des changements de niveaux de connaissance, de motivations, d'attitudes et de comportements. La seconde, plus modeste mais de plus en plus importante, tente de maintenir des changements obtenus par les communications persuasives, d'éviter des rechutes ou de préparer à une relance de la vigilance préventive. Dans le tabagisme ou dans l'alcoolisme par exemple, cette visée est indispensable puisque, après les premiers succès de modifications conformes aux modèles d'action préconisés, les retours aux comportements à risque sont extrêmement fréquents. Dans la lutte contre le sida, cet enjeu est également reconnu comme essentiel actuellement, de nombreux indicateurs témoignant d'une remontée très nette des prises de risques.

Une politique de santé publique et de prévention des risques sanitaires aujourd'hui ne se conçoit pas sans campagne d'information et de communication. De multiples entreprises de communications persuasives ont ainsi été mises en place pour diverses bonnes causes au cours des dernières années dans tous les pays riches mais aussi, sur les impulsions de l'OMS, dans les pays en développement. Dans cet ensemble disparate, quelques propositions élémentaires peuvent être détachées.

Risques pour la santé : une communication négociée

Tout d'abord, les campagnes publiques de prévention dans le domaine sanitaire sont mises sur agenda politique dans le cadre d'actions qui impliquent des décisions négociées entre de multiples acteurs sociaux porteurs d'objectifs, d'intérêts et de conceptualisations de la santé publique fréquemment divergents. L'exemple de la communication publique sur le sida en France 6 illustre bien l'importance des conflits de perspectives qui accompagnent la production des messages et des objectifs des campagnes. La construction des messages s'élabore dans un système de production multiacteur dans lequel se négocie l'encadrement normé des contenus. Les campagnes publiques, en ciblant la population générale, se fondent sur des choix qui concernent implicitement des valeurs et des objets de représentation sociale qu'on présuppose dans l'audience ou qu'on tente de capter par enquêtes préalables. Les premières campagnes antisida ont ainsi été préparées en tenant compte des réactions d'un public supposé bien pensant et, après un prudent « Le sida ne passera pas par moi » (1987), un principe s'est imposé : dissocier les messages sur la maladie, sa connaissance, ses moyens de transmission et son impact sur la vie des malades, et la promotion du préservatif. « Le préservatif préserve de tout, même du ridicule » a été lancé non sans difficulté comme signature de campagne en 1988, fâcheusement mémorisé parfois comme « préserve de tout, sauf du ridicule ». « Le préservatif préserve de tout, sauf de l'amour » a marqué une étape plus directe pour la démonstration du rapport entre sexualité, amour et risque en 1989. « Les préservatifs vous souhaitent de bonnes vacances », en juillet 1989, a accentué le rapprochement des situations à risque. Et progressivement, la promotion du préservatif a quitté la scène publique pour se rapprocher d'autres contextes d'influence plus ciblés, avec des stratégies plus interactives.