Le graphisme d’information envahit nos sociétés modernes : pictogrammes, schémas dans les modes d’emploi, illustrations graphiques dans la presse et dans les produits de vulgarisation, notamment scientifique. Celui-ci a l’ambition de constituer un langage plus accessible que l’écriture et universel, c’est-à-dire susceptible d’être compris quelle que soit sa langue. Mais c’est une illusion. Ainsi le faible degré de compréhension des pictogrammes est stupéfiant. Par exemple, dans un échantillon international, seuls 16 % comprennent qu’un pictogramme de masque stylisé indique un théâtre. De même, lors de conférences sur ce sujet, j’ai présenté divers pictogrammes glanés ici et là (notamment des pictogrammes touristiques ordinaires observés à Cracovie) et personne n’a été capable d’en donner le sens. Par ailleurs, les lecteurs sont beaucoup moins réceptifs aux images qu’on le pense. Les illustrations enrichies censées favoriser la lecture et la compréhension compliquent l’information au lieu de la simplifier. Ainsi deux auteurs ont-ils étudié les réactions de lecteurs devant les graphiques fortement embellis du quotidien américain USA Today, spécialiste des schémas sophistiqués, et les mêmes graphiques reconstitués sans fioriture (1). Leur conclusion est claire : les lecteurs préfèrent les graphiques sans embellissement, qu’ils trouvent plus accessibles. Ces spécialistes concluent que ces ajouts « gaspillent de l’espace pédagogique sur les plans physique et mental ». Le graphisme d’information est en fait rempli de bruits, que nous allons tenter d’inventorier et de décrypter.
Une première dimension est que l’univers des pictogrammes, catégorie particulière des images d’information, se rapproche par certains aspects de celui d’une langue. Il n’est donc pas d’emblée accessible. Comme les mots, les pictogrammes ne deviennent compréhensibles qu’en fonction du contexte. À Dubrovnik, haut lieu du tourisme en Croatie, un pictogramme représente un homme en maillot de bain et une femme en bikini dans un cadre barré par un gros trait rouge en diagonale. On trouve ce pictogramme à l’entrée de la salle de restaurant d’un grand hôtel du bord de mer. Il signifie que les tenues de plage sont interdites dans le restaurant. À 500 mètres de là, sur une petite île située en face de cet hôtel, le même pictogramme est représenté à l’entrée d’une plage. Cette fois, il veut dire exactement le contraire : il s’agit d’une plage de nudistes, et le pictogramme en interdit l’accès aux vacanciers habillés. À l’entrée de la plage de nudistes, l’usager qui ne sait pas qu’il y a là une telle plage considère le pictogramme comme une véritable énigme, surtout s’il a déjà vu ce pictogramme à l’entrée du restaurant de son hôtel. Le contexte dans ce cas s’avère déterminant pour comprendre un pictogramme…
De même, comme les signifiants des langues, des pictogrammes ne sont compréhensibles que par opposition entre eux. Par exemple, nombre de pictogrammes qui indiquent les toilettes sont des énigmes. Mais, présentés par paires (un pour les toilettes hommes et l’autre pour les femmes), on se doute qu’on a voulu différencier les sexes, et que cela désigne les toilettes. Enfin, en absence de contexte ou d’indications indirectes, le pictogramme reste incertain. Ce pictogramme de poils sur un balai d’aspirateur indique-t-il la position moquette ou la position brosse déployée (pour parquet) ? La moquette et la brosse ont toutes deux la caractéristique principale de comporter des poils. La parenté des pictogrammes avec l’écriture est saisissante quand ils en viennent à ressembler à des idéogrammes dont il faut connaître la signification, par exemple trois lignes parallèles ondulées pour indiquer les produits pour cheveux dans une pharmacie. Le dessin pourrait aussi bien représenter des liquides, des ondes, une voie…
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Entre image et écriture. La découverte des systèmes graphiques
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