Du consentement dans les couples Entretien avec Jean-Claude Kaufmann

Dans nos sociétés qui célèbrent le plaisir sexuel, celui-ci n’est pas toujours au rendez-vous dans les couples. L’enquête de Jean-Claude Kaufmann lève un tabou sur une divergence des désirs entre femmes et hommes.

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Jean-Claude Kaufmann s’est lancé dans les études de sociologie en pleine période soixante-huitarde. Foin des cours théoriques et de l’autorité des mandarins ! Il est décidé par les étudiants que pour devenir sociologue, il faut aller se frotter au terrain.

C’est ainsi qu’il est embauché à Rennes pour enquêter sur la vie quotidienne dans les HLM. Il expérimente la méthode compréhensive, qui consiste à interpréter les faits à partir d’entretiens avec les enquêtés, sans rien connaître alors de l’école de Chicago, qui initia cette pratique. Mais ce lecteur compulsif va bientôt rattraper son retard. Après une thèse soutenue en 1978, il deviendra membre du Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis) puis directeur de recherche au CNRS.

Très vite, son intérêt se porte sur le fonctionnement des couples. Ils constituent pour lui un laboratoire idéal pour comprendre comment évoluent nos habitus, ces habitudes intériorisées héritées de notre passé qui sommeillent en chacun de nous. C’est ainsi qu’en 1992, il publie La Trame conjugale, une analyse du couple à travers son rapport au linge. Le livre, abondamment commenté à la radio et à la télévision, va faire de lui le sociologue médiatique qu’il est devenu. Même s’il est difficile, explique-t-il, de tenir à la fois le langage de la recherche et celui de la vulgarisation, il ne lâchera plus ces deux objectifs. Auteur de nombreuses enquêtes sur les petites manies et les microrituels des couples et des personnes vivant en solo (bibliographie), il est aussi un théoricien exigeant de l’hypermodernité. Pour lui, la construction des identités se fait aujourd’hui dans un tiraillement entre nos habitudes héritées et « le petit cinéma intérieur de nos désirs » qui nous poussent au changement.

En 2019, alors que le mouvement #MeToo, contre les violences sexuelles, continue de produire ses effets, il lance une nouvelle enquête sur le consentement dans les couples hétérosexuels. Les témoignages qu’il recueille sur son site sont immédiats… et inattendus !

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Dans votre dernier livre, vous abordez un sujet largement tabou dans les couples : vous montrez que l’acte sexuel peut se transformer en corvée pour certaines femmes. Comment expliquent-elles cette baisse de désir ?

On a souvent l’impression que la parole sur la sexualité s’est totalement libérée. Pourtant, à l’intérieur des couples, on s’exprime peu sur ce sujet. J’ai eu beaucoup de témoignages dans cette enquête qu’on me demandait de ne pas publier par crainte de provoquer une rupture conjugale.

En fait, les femmes donnent peu d’explications à la baisse du désir plus ou moins forte qu’elles décrivent. Certaines parlent de l’acte sexuel un peu comme d’une corvée ménagère, d’autres en arrivent à une absence totale de désir. Parfois, c’est parce qu’une distance est en train de se créer dans le couple. Mais la plupart du temps, c’est à une divergence des désirs que nous assistons. Paradoxalement, ces femmes déclarent aimer leur partenaire : « On forme une bonne équipe, disent-elles souvent, on rit, on partage des bons moments, mais je n’ai plus envie de lui sexuellement. »

S’installe alors un malaise dans lequel les femmes ressentent de la culpabilité et de la souffrance. Elles perçoivent cette absence de désir comme un problème personnel, ayant l’impression qu’autour d’elles, tout le monde a une sexualité épanouie. Des mots du 19e siècle surgissent alors : frigidité, devoir conjugal…