Dès le XIXe siècle, l’enfance et l’adolescence forment une population soumise à un processus très raffiné de délimitation et de classement. D’une part, de nouvelles tranches d’âge voient le jour : on invente la petite enfance, l’adolescence, la préadolescence, la postadolescence. D’autre part, on cherche à définir, à nommer et à classer toutes les « variétés » d’enfants et d’adolescents « difficiles ».
La déviance, une question sociale
Les médecins comptent parmi les premiers enquêteurs sociaux, à l’exemple de Louis-René Villermé. Ils jouent donc un rôle fondamental dans l’élaboration des classifications du temps des monarchies constitutionnelles. Pour autant, ces premiers classements reposent rarement sur des catégories médicales ou psychiatriques, car les comportements délinquants et déviants sont perçus comme une « question sociale ». Ils sont fortement corrélés, comme l’a bien montré l’historien Louis Chevalier, à l’appartenance aux nouvelles couches de migrants prolétarisés qui s’entassent dans les quartiers paupérisés des grandes villes. C’est donc socialement que l’on cherche avant tout à trier les populations juvéniles « dangereuses », même si ces constructions sociologiques relèvent souvent d’un jugement purement moral. Dans les discours experts des années 1820-1840, les auteurs construisent des classifications toujours plus fines et plus complexes. Pour les réaliser, ils appliquent aux enfants issus des classes populaires une multitude de critères sociaux ou moraux comme la pauvreté, la légitimité, l’irreligion, le goût du jeu… qui, croisés, vont déterminer toute une série de catégories. On distingue ainsi l’orphelin pauvre dont la naissance est légitime de l’orphelin pauvre « né du désordre des mœurs », le petit vagabond par nécessité du petit vagabond par vice ou par passion, l’enfant trouvé et l’enfant abandonné, etc.