À la fin du XIXe siècle naît, en Angleterre et en France, un genre littéraire nouveau, le roman policier, bientôt suivi par le roman d’espionnage. À la même époque, la psychiatrie s’enrichit d’une pathologie récemment mise en évidence : la paranoïa. Enfin, c’est dans les mêmes années qu’une discipline scientifique encore incertaine, la sociologie, se dote d’une théorie propre de la causalité sociale, et y gagne son autonomie.
Ces trois innovations simultanées fournissent à Luc Boltanski la matière même de cet ouvrage. Qu’ont-elles en commun ? Elles reposent sur une même méthode – l’enquête – et une même ambition de faire science. Pour le roman, le détective mène l’enquête pour élucider un crime. Le paranoïaque, pris dans son délire de suspicion et de persécution, vérifie en permanence toutes choses. Le sociologue enfin part à la recherche, au-delà des apparences sensibles, des mécanismes profonds de la vie sociale. Ce faisant, ils entretiennent tous trois un nouveau rapport à la réalité, caractérisé, selon L. Boltanski, par le doute.