Entretien avec André M. Corten. La montée en puissance des cultes de guérison

Les religions recourent souvent à des discours prônant la guérison ou, plus généralement, le mieux-être. Ce phénomène est-il nouveau ?

L'être humain a toujours essayé de trouver dans le discours religieux une réponse à ces phénomènes incompréhensibles que sont la souffrance et la mort. Dans toutes les religions, la guérison a toujours été associée aux prières. Aujourd'hui, on entend parler de miracles de guérison. Et ce discours est nouveau. Selon les Evangiles, Jésus accomplissait certes des miracles, mais c'était pour manifester la puissance de Dieu. La guérison n'en était qu'un aspect secondaire, le but premier étant de montrer. De façon indirecte, cette activité pouvait mener à la conversion. L'Eglise catholique a longtemps essayé de conserver le monopole de détermination des vrais miracles, car c'était la marque de sa puissance de médiation vis-à-vis du divin. Aujourd'hui, dans les Eglises pentecôtistes par exemple, c'est spécifiquement « au nom de Jésus » que l'on guérit. Si ces Eglises ne revendiquent pas le droit d'identifier les vrais miracles, l'invocation du nom de Jésus renvoie encore à la glorification de la puissance divine. La nouveauté réside dans le discours de banalisation du miracle.

Certaines circonstances sociales ou politiques favorisent-elles l'émergence d'un discours spirituel sur la guérison ?

On peut distinguer des circonstances de type social et de type politique. Au niveau social, ce qui est nouveau à l'échelle de la planète, c'est qu'on maintient en vie environ deux milliards d'individus qui n'auraient pas survécu il y a deux siècles. Les gens meurent moins, vivent plus longtemps, mais toujours avec la malnutrition ou les maladies. D'où l'émergence d'un nouveau discours sur la guérison.

Un autre facteur est politique. Le xxe siècle a connu des violences structurelles très fortes. Prenons le cas de l'apartheid en Afrique du Sud. Aboli officiellement en 1991, il subsistait comme blessure fondamentale dans la société. Ce qui a finalement rendu possible le changement, c'est qu'il existait un discours de guérison, à l'échelle de l'individu, mais aussi à celle de la société. Près de la moitié de la population sud-africaine est pentecôtiste. La réconciliation nationale est allée de pair avec un discours politique de guérison, qui a été accepté tant par les individus que par le corps social. Ce contexte émotionnel a mis en fonctionnement l'idée de guérison de la société dans son ensemble, selon une vision dont on peut situer l'origine dans les sociétés coutumières. Dans le vaudou par exemple, le malade est vu comme un individu dont le rapport à la société a été détruit.