Entretien avec Élisabeth Martens : Le bouddhisme tibétain, otage d'un conflit mondial

Le bouddhisme tibétain est, avec le zen japonais, l’école bouddhique la mieux implantée en Occident… Pourquoi ?

Cela peut paraître étrange, car ces branches ne représentent en nombre d’adeptes que 2 % du bouddhisme dans le monde. Et lui-même ne compte que pour 6 % de la population mondiale. Cette implantation commence au XIXe siècle, lorsque l’émergence du socialisme entraîne une poussée du romantisme parmi la classe intellectuelle bourgeoise. Le romantisme prône le retour aux sources, à la mère nature, aux traditions – dont les religions d’Orient. Puis au cours du XXe siècle, les valeurs occidentales, jusque-là portées par le christianisme, déclinent et sont peu à peu remplacées par des spiritualités plus « authentiques », dont le bouddhisme.

Après la Seconde Guerre mondiale se met en place la guerre froide. Le Tibet en devient l’un des points chauds. En témoigne un rapport du bureau des Affaires étrangères des États-Unis. En mars 1949, six mois avant que Mao proclame la République populaire de Chine, ce document souligne l’importance stratégique du Tibet et la nécessité d’y encourager une lutte pour l’indépendance, soutenue par l’institution bouddhiste. Cette lutte ne cessera d’être mise en scène par les médias occidentaux, en présentant le dalaï-lama, qui choisit la voie de l’exil en 1959, comme une icône de sagesse. Pour les États-Unis, il était surtout l’emblème idéal de la lutte contre le communisme chinois.