La France vit dans l’ère postindustrielle. Alors que les lendemains de la Seconde Guerre mondiale l’avaient vu atteindre peu à peu un niveau de développement inédit dans l’histoire, à partir des années 1980, c’est une nouvelle ère qui s’est ouverte. Pour Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, ces trente dernières années ont davantage transformé l’Hexagone que les trente glorieuses. Toujours à l’aide de données géographiques qui cartographient les mœurs des différentes régions françaises, comme ils l’avaient déjà fait dans L’Invention de la France (1981), les deux auteurs dressent un portrait du pays aujourd’hui dans un nouvel ouvrage : Le Mystère français. Quelles sont les tendances de fond ? Le décollage éducatif d’abord, la proportion de bacheliers étant passée de 17,8 à 37,2 % entre 1981 et 1995. Si l’on y ajoute les bacs techniques ou professionnels, la proportion est de 65 %. Puis l’évolution des mœurs a conduit à faire de l’enfant conçu hors mariage la nouvelle norme (11 % en 1980, 54 % en 2010, selon une évolution constante). Le mariage traditionnel semble avoir vécu, encore qu’il puisse apparaître, en ville et dans certaines catégories supérieures de la société, comme une forme de protection en période d’insécurité économique. Parallèlement à cela, le déclin de l’Église catholique, entamé dans les années 1950, s’est poursuivi sans relâche. Mais il importe de distinguer deux aspects du catholicisme. Celui, rituel, devenu quasiment marginal, et celui, symbolique, encore à l’œuvre en France, du moins dans certaines régions. E. Todd et H. Le Bras analysent également, toujours par la cartographie, l’évolution du vote Front national. Celui-ci serait le produit d’une rupture du lien social en habitat groupé face à la mutation des modes de vie. À l’inverse des zones d’habitat dispersé qui ont mis à profit la mobilité pour créer de nouveaux liens. Alors qu’il était au départ un vote urbain, le FN est devenu le « parti des dominés », c’est-à-dire de ceux qui, relégués hors des centres de décision urbains, sont devenus, économiquement et territorialement, plus faibles. Et ce, indépendamment de toute présence immigrée. Pour les auteurs, les changements économiques et sociaux sont le produit d’héritages anthropologiques profonds et durables. Ce n’est pas le moindre des paradoxes français comme nous l’explique H. Le Bras.
Entretien avec Hervé Le Bras. France : la longue histoire du présent
Les transformations récentes de la société française peuvent-elles s’expliquer au regard de ses héritages anthropologiques ? C’est ce que défendent Hervé le Bras et Emmanuel Todd.