Sciences Humaines : Qu'est-ce que ces débats autour de la laïcité ont inspiré à la sociologue franco-turque que vous êtes ?
Nilüfer Göle : Une première surprise a été la tendance à aborder la question de la laïcité comme une exception française. C'est peut-être vrai comparé aux autres pays de l'Union européenne. Mais c'est oublier que la Turquie est un Etat laïc depuis 1923 et que le voile y a été récemment interdit à l'université. Les Français auraient été bien inspirés de prêter une plus grande attention à la manière dont les questions de laïcité étaient traitées par les Turcs. Sans doute y a-t-il là un effet du récit occidental de la modernité. Sous prétexte que les pays européens y auraient accédé plus tôt, ils n'auraient rien à apprendre des autres pays. Pourtant, s'agissant de la laïcité, la Turquie a su anticiper bien avant la France les problèmes posés par la question du voile.
Quels enseignements aurait-elle pu en tirer ?
D'abord, une prise de conscience plus rapide du lien existant entre la laïcité et la question de la femme. Il y a encore quelques années, ce lien paraissait incongru. Lorsque les premières affaires du voile ont éclaté en France, des voix se sont élevées pour dire qu'on n'allait tout de même pas réduire la question de la laïcité à un problème de fichu... En Turquie, ce lien entre les femmes et la laïcité est apparu évident, bien avant même la proclamation de la République en 1923. Tous les débats sur l'occidentalisation s'organisaient autour de la question de la femme.