Épigénétique, notre ADN sous influence

Le séquençage du génome humain achevait une grande étape. Une autre s’ouvre avec l’étude des éléments qui interfèrent avec l’expression des gènes. Ou comment notre mode de vie influence ce que nous sommes et serons.

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Pour la génétique, le troisième millénaire a commencé en fanfare. Les médias n’ont pas manqué de saluer l’aboutissement d’une entreprise titanesque : le séquençage du génome humain. Initié dans les années 1990 et mené à son terme en 2003, ce projet pharaonique à plus de 2 milliards de dollars aura mobilisé pas moins d’une vingtaine d’institutions de recherche à travers le monde. Le but était d’analyser in extenso la succession des 3,2 milliards de nucléotides (les fameuses lettres A,T,C,G) qui constituent l’ADN de notre espèce – soit l’équivalent d’une bibliothèque riche de 2000 livres de 500 pages. Il s’agissait aussi, bien sûr, de repérer nos quelque 25 000 gènes, lesquels n’occupent qu’une partie limitée de notre ADN.

Aujourd’hui, les progrès fulgurants des techniques amènent à relativiser l’exploit : ils permettront à très court terme de séquencer un génome humain en seulement 24 heures et pour un coût ramené à environ 1 000 dollars. D’où la perspective de pouvoir bénéficier d’une vision panoramique sur les gènes de tout un chacun ; d’où aussi des avancées prometteuses en termes de médecine prédictive ou d’adaptation personnalisée des thérapies. Le génome est-il pour autant l’alpha et l’oméga de ce qui risque d’advenir chez un individu ? Les gènes nous déterminent-ils à ce point ?

Les dernières décennies du 20e siècle ont été celles du tout-génétique ; le début du 21e fait la part belle à l’épigénétique. Si le terme a été inventé dès 1942 par le biologiste britannique Conrad Hal Waddington – à une époque où l’on ignorait encore que l’ADN était le support de l’information génétique –, la discipline n’a pris que récemment son essor. On sait que le préfixe grec « epi » signifie « sur ». Il y aurait donc quelque chose au-dessus de la génétique ? Quelque chose qui la place sous influence ? Assurément, oui. Et ce, aussi bien chez les bactéries que chez les plantes et les animaux – dont nous, les humains. Quand la génétique s’intéresse aux gènes dont nous héritons et à leur mode de fonctionnement, l’épigénétique se penche sur les facteurs – internes ou externes à l’individu – qui modulent leur expression… Cela commence dès le stade embryonnaire.

Les « marque-pages » de l’organisme en développement

Formées par division de l’œuf issu de la fécondation, les cellules du jeune embryon sont pluripotentes, c’est-à-dire qu’elles peuvent donner tous les types cellulaires de l’individu : neurones, cellules de peau, de muscle, de foie, de pancréas, etc. Bien que toutes ces cellules possèdent le même ADN, c’est-à-dire le même programme génétique, elles acquièrent des caractères différents. Comment est-ce possible ? Pour dire les choses de manière simple, on peut se représenter nos 25000 gènes comme autant de pages d’instructions – chaque page représentant une instruction ; en fonction de sa place dans l’organisme, de son environnement chimique, une cellule va « lire » – on parle de transcription de l’ADN – un certain nombre de pages et pas les autres : elle a ses « marque-pages », disposés différemment selon le type cellulaire. Au final, moins d’un quart des gènes de l’organisme sont « lus » par toutes les cellules qui le composent ; les autres ne le sont que dans certaines lignées cellulaires. D’où la différenciation entre cellules de peau, de foie, de muscle, etc.