L’histoire de l’Éthiopie est souvent vue comme « exceptionnelle ». Cette idée vient d’une part de l’existence d’un système d’écriture sémitique propre à cette région de la Corne de l’Afrique, le guèze, qui a permis la production d’un corpus documentaire sans équivalent en Afrique subsaharienne ; et d’autre part de la présence d’une Église chrétienne remontant au 4e siècle, qui a très tôt fasciné les savants occidentaux. Ces deux points ont entraîné les historiens à s’intéresser principalement au pouvoir chrétien. Cependant, des recherches plus récentes ont révélé l’importance des sociétés musulmanes et païennes qui dominaient d’autres zones de la Corne de l’Afrique. Ces dernières restent moins connues, car elles ont produit peu ou pas de textes, et n’ont laissé comme traces que quelques sites archéologiques encore peu étudiés.
Des mondes médiévaux interconnectés
Le roi d’Aksoum, Ezana, se convertit au christianisme au 4e siècle. Le royaume d’Aksoum est alors un puissant État du nord de la Corne de l’Afrique, qui contrôle le commerce de la mer Rouge. Son pouvoir décline au 7e siècle. Au 12e siècle, avec le soutien du patriarcat d’Alexandrie (Égypte), un nouveau royaume chrétien impose son autorité sur des régions plus méridionales. La dynastie des rois Zagwé fait édifier des églises (dont le célèbre complexe religieux de Lalibela), insuffle une renaissance culturelle et religieuse et réorganise les dynamiques régionales. Les Zagwé sont ensuite renversés en 1270 par la dynastie salomonienne. Cette dynastie fonde sa légitimité sur la construction d’un mythe, présentant notamment l’Éthiopie comme le royaume héritier d’Israël, et ses rois comme descendants directs du roi Salomon et de la reine de Saba. Ce nouveau royaume chrétien contrôle un vaste espace qui s’étend au cours des siècles, jusqu’à dominer au début du 16e siècle l’ensemble du haut-plateau éthiopien, de la boucle sud de la rivière Awash aux rives de la mer Rouge de l’actuelle Érythrée.
Le royaume chrétien d’Éthiopie n’a jamais été un isolat vis-à-vis de son environnement. De nombreux marchands, religieux ou encore artisans venus d’Arabie, du Proche-Orient ou de régions plus lointaines circulent dans la Corne de l’Afrique depuis l’Antiquité. Mais surtout, le pouvoir chrétien est en perpétuelles interactions avec les autres communautés religieuses qui peuplent la région. La documentation est très peu diserte concernant les communautés « païennes » et musulmanes. Le corpus documentaire est très largement dominé par les écrits émanant des réseaux monastiques du royaume chrétien. Il s’y trouve très peu d’indices sur les « païens », hormis de brèves mentions à l’occasion de phases d’évangélisation de ces sociétés des marges. Quant aux musulmans, ils n’apparaissent dans la documentation guèze qu’à partir du 15e siècle, et encore, uniquement dans leurs interactions belliqueuses avec les chrétiens, alors même que l’islam fut introduit dans la région dès l’Hégire.