C’est le dernier cri de la recherche sur le développement économique : les expérimentations à sélection aléatoire (ESA). Esther Duflo et Abhijit Banerjee ont fondé au MIT l’Adbul Latif Jameel Poverty Action Lab, un centre qui promeut de par le monde cette méthode destinée à tester l’efficacité des politiques de lutte contre la pauvreté. À leurs yeux, pas de doute, sans ESA, point de salut.
Les expériences à sélection aléatoire ? Derrière ce jargon, une idée simple. Vous voulez savoir si l’augmentation du nombre de livres scolaires permettrait d’accroître les résultats des jeunes élèves ? Eh bien, faites donc une expérience, comme c’est l’usage en médecine, pour tester un médicament. Tirez au hasard deux écoles de la même zone. Dans la première, vous administrez le traitement : vous augmentez le nombre de livres scolaires par enfant (par exemple, non plus 1 pour 4, mais 1 pour 2). Dans la seconde (votre « groupe de contrôle »), vous ne faites rien du tout. Il ne vous reste plus qu’à attendre la fin de l’année pour relever les notes. Si les élèves de la première école obtiennent une meilleure moyenne que les seconds, vous tenez votre résultat : l’augmentation du nombre de livres scolaires par enfant permet d’améliorer la performance scolaire.
On s’en doutait, direz-vous. Eh bien, plusieurs expériences menées indiquent qu’il n’en est rien. Le nombre de livres par enfant n’est pas le facteur décisif de la performance scolaire, pas plus apparemment que le nombre d’enseignants par enfant. À ces résultats surprenants s’ajoutent d’autres, carrément inattendus. Une étude abondamment citée, menée au Kenya, a identifié une manière bien plus efficace d’améliorer les résultats scolaires : la distribution gratuite d’un médicament contre les vers intestinaux. C’est en effet l’une des découvertes (fortuite) des expérimentateurs du développement : les vers intestinaux sont l’une des causes de l’absentéisme dans certaines zones rurales. Immuniser les enfants ne coûte pas grand-chose et a un impact immédiat sur les résultats scolaires. Si une ONG n’a qu’une somme limitée à dépenser, il vaut mieux qu’elle le consacre à l’achat de ces traitements (1).