Extinction en Terre de Feu

Aux confins de la Terre. Une vie en Terre de Feu (1874-1910)
Esteban Lucas Bridges, Nevicata, 2010, 645 p., 28,95€

Les mémoires d’Esteban Lucas Bridges se dévorent comme l’un de ces palpitants récits d’aventures lointaines qu’affectionnait le XIXe siècle. Avec une nuance de taille : là où un romancier aurait mis à contribution les stéréotypes de son temps, Bridges puise, lui, dans sa mémoire et ses notes pour en faire le procès. Né en l’an 1874 en Terre de Feu dans une famille de missionnaires anglicans, il vécut quarante ans au contact direct des Indiens Yaghans, Onas, Aush et Alacalufs qui, jusqu’au seuil du XXe siècle, peuplaient encore ces régions australes. Il n’en reste aujourd’hui que des photos jaunies, dont les plus reproduites montrent volontiers des hommes nus et hirsutes grelottant au creux d’un rocher. Charles Darwin qui les visita en 1835 les décrivait comme des êtres proches de l’animal, sans art, sans loi, vivant d’aubaines et maîtrisant, tout au plus, une centaine de mots. Et cette image leur collera d’autant mieux à la peau qu’un siècle plus tard, leur quasi-disparition vérifiait leur condition de survivants d’un passé révolu.