Le racisme n’est pas seulement un déni de l’égalité, il est un ensemble d’attitudes, de jugements, de regards, de mots, d’interactions qui affectent la personnalité et l’identité des individus. Il menace l’estime de soi et toute la vie des sujets enfermés dans les stéréotypes qui les détruisent. Un jeune Français noir sait qu’il a moins de chances de trouver un emploi et d’entrer dans une boîte de nuit que ses amis blancs, mais il sait aussi qu’il peut être traité de « bamboula » par des policiers et des vigiles un peu énervés.
1. S’adapter
Comme elles peuvent difficilement échapper au racisme, beaucoup de victimes ont appris à vivre avec. Elles savent quels sont les endroits et les situations qu’il faut éviter si l’on ne veut pas être agressé, insulté, contrôlé. Elles savent aussi comment il faut se conduire, s’habiller, marcher, afin de n’être pas suspect. Un jeune Noir ne doit pas presser le pas quand il croise la police, il doit éviter de fréquenter certaines tribunes du stade et certains cafés. Il lui faut apprendre à vivre avec les regards et les gestes craintifs de ceux qui le tiennent a priori pour un délinquant.
Alors, le plus sage est de rester entre soi, dans les quartiers et les rues où l’on est majoritaire. Mais cette stratégie, pourtant rationnelle, a toutes les chances de conforter les stéréotypes racistes : non seulement « “ces gens” ne sont pas comme nous, mais ils ne veulent pas “s’intégrer” et restent entre eux ; ils sont différents et veulent le rester ». Afin d’éviter les réactions racistes, il est possible de choisir l’hyperconformisme et de se comporter avec zèle comme un Blanc. Mais, là aussi, cette stratégie n’est pas sans avoir des effets négatifs : d’une part, le groupe majoritaire la trouve suspecte et, d’autre part, les membres de la minorité racisée peuvent la percevoir comme une « trahison ». En fait, dans la société française d’aujourd’hui, les victimes du racisme ont du mal à échapper aux jugements qui les invalident. Soit elles en font trop, soit elles n’en font pas assez.
François Dubet, Olivier Cousin, Éric Macé et Sandrine Rui, Seuil, 2013. Frantz Fanon, 1952, rééd. Seuil, coll. « Points », 2015. Michèle Lamont , Princeton University Press, 2016. Toni Morrison, Christian Bourgois, 2007.