Faire la paix avec le sens commun. Entretien avec Bernadette Bensaude-Vincent

Si la science est le domaine des vérités acquises, pourquoi et comment devrait-on s'intéresser à son passé ? De l'étude des idées à celle des controverses oubliées, de celle des hommes à celle des sociétés, le champ des études historiques sur la science s'est aujourd'hui ouvert à une multiplicité de points de vue, dont la coexistence n'a pas manqué de soulever quelques débats de fond.

Sciences Humaines : On décrit souvent l'histoire des sciences sous la forme d'une série de découvertes successives et de progrès de méthode allant vers une plus grande autonomie des savoirs scientifiques. Or, aussi bien dans vos travaux sur l'histoire de la chimie que dans ceux, plus récents, sur les rapports entre science et société au xixe siècle, vous avez montré que les scientifiques ont pendant longtemps entretenu avec l'opinion générale et les institutions des rapports de grande proximité. Quelle serait la raison de cette coupure qui semble exister aujourd'hui entre la science et le sens commun ?

Bernadette Bensaude-Vincent : L'idée d'un progrès nécessaire et autonome des sciences me paraît être à la racine de ce sentiment, partagé par les scientifiques, les médiateurs scientifiques et bien souvent le public lui-même, qu'il existe un fossé grandissant entre l'élite scientifique et le reste de la société.

Dans sa marche toujours accélérée, la science devient plus formalisée, plus mathématisée, plus technique, bref de moins en moins accessible au plus grand nombre. Cette conviction, qui justifie l'effort des médiateurs, n'était pourtant pas celle des pionniers de la vulgarisation au xixe siècle.